Nul ne s’en étonnera : nous vivons une situation inédite. Jamais auparavant – même en temps de guerre – l’Etat n’avait dû interdire aux entreprises de poursuivre leurs activités de manière aussi brutale et (presque) généralisée. La crise sanitaire mondiale que nous traversons aura des répercussions économiques gigantesques pour l’ensemble des citoyens et l’on s’attend, dans les prochains mois, à un nombre record de faillites et de personnes au chômage.
L’Etat annonça, dès les premiers jours du confinement, la mise en place de différentes mesures d’aides, au rang desquelles diverses primes et le report des délais de paiements des impôts et des taxes. Ces délais moratoires sont évidemment bienvenus et permettent aux entreprises de consacrer leur trésorerie à leurs obligations financières très urgentes.
Parmi celles-ci, la question de savoir s’il fallait ou non payer le loyer s’est rapidement posée pour de nombreux locataires, notamment les commerçants ayant dû stopper toute activité. Le hasard de l’agenda a fait en outre, que les loyers commerciaux se paient généralement chaque trimestre et que la deuxième échéance de l’année (le 1er avril) est arrivée au tout début du confinement.
En principe, l’obligation de payer son loyer n’est ni suspendue ni annulée en raison des difficultés économiques rencontrées par le locataire. En l’espèce, l’entreprise s’est retrouvée sans aucune rentrée d’argent en raison d’une interdiction légale totalement fortuite et imprévisible.
Cette situation ne constitue toutefois pas nécessairement un cas de force majeure (au sens juridique du terme) dispensant le locataire de payer son loyer ; elle n’est régie par aucun texte de loi derrière lesquels il serait périlleux de se retrancher. Une chose est certaine : il est impossible de prédire comment les juges trancheront (dans plusieurs mois voire plusieurs années) les différends économiques qui leur seront soumis.
Que faire alors ?
Il n’y a pas qu’une situation : celle du propriétaire s’étant endetté pour l’achat d’une maison commerciale, ayant un crédit à rembourser est différente de celle du multipropriétaire à la trésorerie confortable. Tout comme celle du coiffeur locataire de son salon ne peut être comparée à celle d’une chaîne internationale à multiples points de ventes. Les frais fixes que représentent les loyers n’ont pas la même importance pour une pizzeria que pour un commerce de luxe.
Que l’on soit locataire désireux de voir son loyer annulé, réduit ou reporté ou propriétaire souhaitant être malgré tout payé, chacun aura de bonnes raisons en fait et en droit pour justifier sa position. Dans tous les cas cependant, l’affrontement serait néfaste aux deux parties. Car outre l’incertitude de la décision qui serait finalement prise par le juge de paix (mais quand ?), les tensions ne seront profitables ni au bailleur, ni au preneur.
La meilleure option dans l’intérêt des deux parties est de faire preuve de bon sens et de négocier (en direct, accompagné de son conseil ou en recourant aux services d’un médiateur). Ecouter, s’expliquer, discuter, tenter de comprendre les contraintes objectives de l’autre partie sont les clés d’une solution mutuellement satisfaisante.
A quoi bon pour un propriétaire de tenter d’imposer à tout prix à son locataire de payer le loyer, au risque pour ce dernier de tomber en faillite, les lieux devenant inoccupés durant de nombreux mois ? A l’inverse, un locataire ne pourrait légitimement refuser de payer son loyer, sans avoir aucun égard pour les difficultés financières de son bailleur ayant des crédits à rembourser ou en occultant le fait qu’il avait déjà des arriérés de loyers avant le mois de mars ?
Les prévisions de faillites et les risques de vides locatifs sont tels que les deux parties auront intérêt à la poursuite du bail : obligée de déménager, l’entreprise pourrait avoir du mal à redémarrer sereinement. A l’inverse, le propriétaire d’un local inexploité pourrait éprouver des difficultés à trouver rapidement un nouveau locataire à des conditions aussi favorables.
Discutez avec votre comptable ou votre avocat. Discutez surtout entre vous sans vous laisser embarquer dans les incertitudes du droit.
A Bruxelles, BECI (la Chambre de Commerce) et bMediation ont lancé une « task force » de médiateurs agréés pour favoriser la sortie par le haut de litiges entre entreprises, dont ceux entre locataires et propriétaires. Gageons que cette initiative évitera que nombre de litiges ne prennent des proportions démesurées.
De nombreuses transactions sont déjà intervenues depuis le 17 mars. Notre pratique nous enseigne que les principales solutions sont la remise totale ou partielle du loyer sur un ou plusieurs mois, assorties ou non du report des loyers du deuxième trimestre 2020 d’ici la fin de l’année.
Peu importe finalement le contenu de l’accord pour autant qu’il convienne aux deux parties. Une chose est sûre : plus que jamais, un accord de bon sens vaudra mieux qu’un long procès à l’issue incertaine.
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