La Belgique, à l’image de la plupart des pays du monde, est confrontée à une crise sanitaire désastreuse et inédite sur les plans humain, économique, social et culturel. Dans ce contexte délicat, certaines questions sont apparues en droit du bail, en ce qui concerne le sort des rapports contractuels entre le bailleur et le locataire sous le prisme de la force majeure.
Appréhension des éléments constitutifs de la force majeur
La force majeure consacrée par l’article 1148 du code civil, est définie de manière générale par la cour de cassation comme un évènement imprévisible, irrésistible (non fautif) et indépendant de la volonté de la personne qui l’invoque.
De cette définition, il en ressort que la partie qui souhaite se prévaloir d’un droit sur la base de cet argument juridique, doit démontrer la réunion de plusieurs conditions cumulatives :
- L’imprévisibilité : l’évènement ne doit pas avoir été prévu ou planifié. Il doit s’agir véritablement d’une situation fortuite.
- L’irrésistibilité : l’évènement doit constituer un obstacle insurmontable à résoudre. Il ne doit pas relever d’un fait fautif.
- La non dépendance de la survenance de l’évènement par rapport à la personne qui invoque le cas de force majeure : l’évènement ne doit pas être survenu par le fait direct ou indirect de la personne qui l’invoque. Il doit donc être extérieur à la volonté de cette dernière.
Parmi les modes d’extinction des obligations contractuelles, figurent en bonne place, la force majeure qui est susceptible de constituer une cause extinctive libératoire en vertu de l’article 1148 du code civil, ou une cause suspensive des obligations contractuelles des parties. Il importe de préciser que ce sont les mesures réglementaires prises par le gouvernement fédéral dans le cadre de la crise sanitaire du coronavirus qui constituent un cas de force majeure à caractère temporaire.
Cas d’admission de la force majeure
A condition d’être expressément prévue dans le contrat de bail sous forme de clauses aménagées par les parties, la force majeure peut être admise dans plusieurs cas de figure :
- Lorsque l’exécution d’une obligation à charge d’une partie contractante est devenue définitivement impossible.
- Lorsqu’elle est expressément prévue sous de forme de clause contractuelle, comme une cause de suspension qui a pour effet de figer temporairement les obligations des parties au contrat.
Dans les deux cas de figure, Il y a donc une impossibilité matérielle non fautive d’exécuter une obligation contractuelle qui peut entrainer soit un effet extinctif libératoire, soit un effet suspensifnon libératoireen raison de cette dernière, et selon la volonté contractuelle des parties.
Application des conditions de la force majeure aux baux dans le cadre du coronavirus
En tout état de cause, l’invocation avec succès de la force majeure dans le cadre de l’obligation de paiement d’une somme d’argent dans le chef du débiteur est difficilement envisageable, même si certains auteurs voient dans la jurisprudence, les possibilités d’assouplissement cette règle.
La cour de cassation a jugé que l’impossibilité d’exécution « ne se conçoit même point lorsque l’obligation ne consiste que dans le paiement d’une somme d’argent » 3 (Cass. 13 mars 1947, Pass., 1947, I, p. 108).
En outre, la jurisprudence et la doctrine refusent généralement d’admettre la libération du débiteur pour cause de force majeure économique ou force majeure financière. Autrement dit, en droit du bail, la force majeure ne s’applique donc pas mutatis mutandis à la suspension d’une obligation impactée par la cessation temporaire et fortuite d’une activité professionnelle qui relève en réalité de la situation personnelle du preneur de bail : c’est donc le cas pour les difficultés économiques de ce dernier liées au covid-19.
Quant au bailleur, il est tenu de l’obligation de garantir la jouissance paisible du bien immeuble loué malgré le contexte de la crise sanitaire. Cependant, compte tenu de la situation exceptionnelle nécessitant une mesure exceptionnelle, il convient de constater que le bailleur peut être confronté au « fait du Prince » (situation dans laquelle une personne est contrainte de subir les effets d’une mesure administrative édictée par une autorité publique). On pourrait donc dans ce cadre, admettre que ce dernier reporte l’exécution des réparations liées à la vétusté des installations techniques présentes dans le bien immeuble loué. Par contre, il ne pourrait pas profiter de cette situation pour pénétrer chez son locataire sans l’autorisation de ce dernier.
Possibilité de modalisation ou d’aménagement des clauses de force majeure dans le contrat de bail
Les clauses de force majeure sont celles qui permettent de déterminer les conséquences juridiques de la force majeure par rapport à l’exécution des obligations contractuelles des parties.
Le contrat étant la chose des parties, celles-ci peuvent prévoir sous forme de clause contractuelle que la survenance de l’évènement de force majeure n’empêche pas la poursuite de l’exécution des obligations contractuelles, et en conséquence, exclut l’effet libératoire utile dans le chef de chaque partie. Dans ce cas, l’évènement fortuit survenu, n’aura aucune incidence quant à la continuité d’exécution des engagements contractuels des parties. Vous l’aurez compris, les clauses de force majeure peuvent donc parfaitement être modalisées ou aménagées par les parties dans le cadre de leurs obligations contractuelles. Toutefois, même en présence d’une telle clause dans le contrat de bail, lebailleur, créancier de l’obligation de paiement des loyers, peut démontrer par toute voie de droit, à l’aune des circonstances factuelles, que la crise sanitaire du coronavirus est sans lien causal avec le respect de l’obligation de paiement des loyers incombant au locataire.
Force majeure et théorie des risques : quelle corrélation envisageable dans le cadre de la crise sanitaire du coronavirus ?
En droit des contrats, « la théorie des risques est un concept propre aux contrats synallagmatiques, c’est-à-dire aux contrats qui prévoient des obligations dans le chef de chacune des parties et qui sont censées s’exécuter trait pour trait. Selon cette théorie, les obligations contenues dans un contrat sont éteintes lorsque leur exécution est devenue impossible en raison de la survenance d’un cas de force majeure. Dans ces circonstances et compte tenu de l’interdépendance des obligations d’un contrat synallagmatique, le débiteur des obligations éteintes ne peut exiger de son cocontractant qu’il exécute ses obligations encore en vigueur. » Il s’en suit que « l’application de la théorie des risques a pour effet de suspendre ou de dissoudre le contrat selon que la force majeure rende impossible temporairement ou définitivement l’exécution des obligations qu’elle frappe. En cas de dissolution, celle-ci s’opère sans rétroactivité et, sauf exécution partielle du contrat déjà réalisée, aucune restitution des prestations ne doit avoir lieu. »
Il convient de constater que les mesures réglementaires prises dans le cadre de la crise sanitaire du covid-19 constituent un évènement imprévisible, irrésistible et extérieur à la volonté de la personne qui l’invoque, mais il s’agit surtout d’un évènement temporaire et non définitif. C’est donc un cas de force majeure temporaire qui, prévu sous forme de clause contractuelle, peut potentiellement constituer une cause de suspension des obligations des parties. Il est donc manifeste que dans ce cadre, sans modalisation des clauses contractuelles admettant la force majeure comme une cause de suspension du contrat de bail, le locataire, ne pourra pas bénéficier de la protection conférée par cette dernière.
En vertu de l’article 1134 du code civil relatif au principe de la force obligatoire des conventions, le locataire devra toujours continuer de satisfaire à son obligation contractuelle relative au paiement des loyers. Ainsi, sous réserve de la condition de paiement des indemnités de rupture, le locataire ne peut pas rompre unilatéralement le contrat de bail en invoquant la force majeure liée au coronavirus. Celle-ci ne produit donc, sauf prévision expresse par les parties, aucun effet juridique dans le contrat de bail reposant sur les caractères consensuel, synallagmatique parfait, d’adhésion et d’exécution successive. Il devra donc toujours continuer à s’acquitter de son obligation de paiement des loyers au bailleur.
En conclusion, en cas de contentieux, le juge devra examiner en fait et en droit, les circonstances justifiant le recours à la force majeure par rapport aux obligations respectives de chaque partie au contrat de bail. Il est donc certain, qu’à travers sa décision, il ne pourra guère contenter les deux parties. Dans cette optique, il est important pour les parties de toujours trouver un terrain d’entente et de garder à l’esprit, qu’un arrangement à l’amiable vaut mieux qu’un bon procès : d’où l’importance de la négociation comme mode alternatif de règlement des conflits locatifs.
Sébastien Mbala
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