18 May 2020 | Corona Actua, Criminal Law

Les droits humains dans les prisons africaines à l’heure de la pandémie globale de Covid-19
Opgelet: dit artikel werd gepubliceerd op 18/05/2020 en kan daardoor verouderde informatie bevatten.

Cette déclaration conjointe a été publiée la première fois le 25/03/2020 et est adressée aux gouvernements des États membres de l’Union africaine et aux organisations internationales de défense des droits humains en Afrique. Certaines mesures recommandées ci-après ont depuis été prises par les États concernés.

Alors que l’Europe et les États-Unis sont devenus les épicentres de la pandémie du Covid-19, virus qui a d’abord affecté la Chine avant de se répandre dans le reste du monde, les pays africains se préparent à faire face à une augmentation substantielle du nombre de cas. À la date du 25 mars, on recensait plus de 2000 cas sur l’ensemble du continent, dont plus de 275 décès[1]. Un accroissement rapide de la courbe des cas recensés est à présent inéluctable et des directives ont été prises par les gouvernements visant à juguler la dispersion du virus. Cela est évidemment à saluer.

Dans tous les pays submergés par le nouveau Coronavirus, les catégories les plus vulnérables de la population sont aussi les plus exposées aux conséquences graves du virus. À côté des personnes de plus de 65 ans qui constituent la tranche d’âge à risque, les personnes fragiles sur le plan social et économique subissent de plein fouet les éventuelles carences des systèmes de santé et de protection sociale. C’est particulièrement le cas des détenus et des personnes migrantes placées en détention ou en rétention.

En effet, selon la communauté scientifique, les prisons et les centres de rétention pour migrants représentent un risque accru, non seulement parce que le virus se propage plus vite dans un lieu confiné, souvent faiblement ventilé et insalubre, mais également parce que les conditions médicales préexistantes fragilisent la santé des détenus. De fait, les maladies infectieuses circulent en plus grandes proportions au sein de la population carcérale (S. Kinner & al., Lancet, 2020).

On peut présager qu’en raison de la forte disparité des systèmes de santé et des infrastructures médicales et pénitentiaires dans les différents pays d’Afrique, les niveaux d’exposition à la crise sanitaire seront variables. Néanmoins, la question des prisons est actuellement trop largement ignorée dans le contexte africain, alors même que les prisons sont des lieux à haut risque de transmission.

Actuellement, dans la plupart des pays, les seules initiatives prises pour réduire la dispersion du virus en milieu carcéral se limitent souvent à interdire les visites des familles et des proches et à supprimer les activités collectives. De telles mesures amènent plusieurs remarques :

  • Leur efficacité peut d’abord être questionnée. L’incarcération de nouveaux prévenus, les extractions vers les tribunaux et la communication avec le personnel pénitentiaire sont autant d’interactions avec le monde extérieur qui annihilent fortement l’impact de ces politiques.
  • Elles peuvent être sources d’incompréhensions, de tensions importantes et parfois de révoltes et de mutineries, comme tel a été le cas en France, en Italie, au Brésil ou au Tchad. La pression carcérale extrêmement élevée que l’on rencontre dans de nombreuses prisons africaines (atteignant parfois des seuils de 200 à 600% de taux d’occupation) attise encore plus ce risque d’émeutes.

Si les signataires de ce communiqué ne contestent pas en soi la nécessité de maîtriser davantage la communication entre les détenus et leurs proches afin de les protéger, ils soulignent que les droits des détenus doivent être garantis et demandent à ce que des alternatives soient trouvées : communications à distance, derrière une vitre ou par téléphone, lorsque cela est possible.

Mais surtout, les signataires considèrent que de telles mesures ne sont que subsidiaires par rapport à la nécessité de réduire substantiellement et immédiatement la population carcérale. Ainsi, les signataires demandent aux gouvernements africains d’agir sans délai pour protéger la population carcérale et lutter structurellement pour l’ensemble de la population en réduisant la pression carcérale dans les différents pays.

Ils recommandent dès lors :

  • Par des mesures de grâces et d’amnisties, de libérer les détenus qui arrivent au terme de leurs peines, ainsi que ceux qui sont dans la tranche d’âge à risque et dont la détention ne se justifie plus. L’Iran a récemment décidé de vider ses prisons afin de lutter contre la pandémie (aboutissant à la libération provisoire de dizaine de milliers de détenus). En Afrique, la Tunisie a ainsi rapidement accordé la grâce présidentielle à 1800 détenus (aboutissant à la libération effective de 670 prisonniers et accordant une remise de peine aux autres) et envisage d’autres libérations à court terme. Le gouvernement béninois a de son côté mis en place des mesures drastiques de protection sanitaire des détenus. Ces exemples sont salués par les signataires du communiqué.
  • En dialogue avec les acteurs judiciaires et administratifs, de prendre des mesures pour suspendre le recours à la garde à vue et à la détention préventive et libérer, sans cautionnement, les détenus poursuivis pour des délits mineurs, passibles de peines inférieures à 2 ans d’emprisonnement, et ne représentant pas de danger pour la sécurité publique.
  • En concertation avec les autorités judiciaires compétentes, accorder la libération conditionnelle aux détenus condamnés qui intègrent les conditions reprises par les procédures propres à chacun des pays.

À côté des mesures visant à réduire la population carcérale, les signataires demandent aux autorités de :

  • Mettre en place des alternatives (téléphoniques, épistolaires, etc.) pour lutter contre l’isolement des détenus et leur permettre de communiquer avec leurs proches et familles.
  • Augmenter la capacité de diagnostic et de suivi médical au sein des prisons, comme demandé par l’OMS et considéré comme technique première de limitation de la propagation du virus ; en particulier, accroître les mesures de protection des détenus dont le système immunitaire est fragilisé comme ceux atteints du VIH ou de la tuberculose.
  • Rendre effectif le diagnostic médical systématique dès l’entrée en prison, conformément à la Règle 30 de l’Ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des prisonniers.
  • Consolider l’accès à la justice et le contrôle du respect des droits fondamentaux, en renforçant le dialogue avec les ONGs et en facilitant l’assistance judiciaire aux détenus pour garantir le respect du droit international, en particulier des articles 5 et 16 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et de l’Ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.
  • Assurer un suivi social et sanitaire des personnes libérées, dans le cadre de la mise en œuvre d’une politique de santé publique
  • Protéger adéquatement le personnel pénitentiaire contre la contamination du virus.

 

Déclaration conjointe d’Avocats Sans Frontières et de 31 ONGs et acteurs nationaux et internationaux à l’adresse des gouvernements des États membres de l’Union africaine et des organisations internationales de défense des droits humains en Afrique

https://www.asf.be/fr/blog/2020/03/24/the-spread-of-covid-19-requires-to-take-urgent-and-immediate-measures-to-protect-the-rights-of-detainees-in-africa/

[1] À la date du 10 mai 2020, on comptait 61.181 cas confirmés et 2.239 décès (Source : RFI Afrique)

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