Introduction
Dans un arrêt récent du 11 janvier 2022 (AR P.21.1245.N) la Cour de Cassation a décidé en principe que le ministère public (MP) peut limiter ses griefs contre une partie précise de la peine infligée. Cette décision ouvre des possibilités procédurales intéressantes tant pour le MP que pour le prévenu.
Des griefs limités contre la punition …
Depuis l’introduction du système de griefs en matière pénale, la Cour de Cassation juge en jurisprudence constante que la saisine du juge d’appel (c.-à-d. ce qui est à juger par le juge d’appel) est tout d’abord définie par la déclaration d’appel, et ensuite délimitée par les griefs concrets introduits contre le jugement du premier juge.[1]
Il suffit en principe que l’appelant coche sur le formulaire de griefs d’appel les rubriques pré-imprimées sur lesquelles portent ses griefs concrets.[2] Mais que faire si l’appelant a indiqué une restriction supplémentaire au sein d’une rubrique du formulaire de griefs ? La saisine du juge d’appel est-elle dans ce cas limité à cette restriction, ou la rubrique cochée (procédure, culpabilité, peine, etc.) continue-t-elle à elle seule de déterminer la saisine du juge d’appel ? Concernant la rubrique ‘culpabilité’ ce point semble soulever peu de controverse et ceci fut déjà décidé précédemment par la Cour de Cassation.[3] Mais en va-t-il de même pour la décision concernant la peine, que l’on doit quand-même plutôt considérer comme un ensemble ?
Un arrêt de cassation du 11 janvier 2022 suggère déjà que ceci est effectivement le cas. Dans cette affaire un prévenu se fit, en degré d’appel, infliger une amende pour la première fois, après appel interjeté par le MP. Le prévenu a ensuite invoqué devant la Cour de Cassation que la cour d’appel avait par sa décision dépasser sa saisine. En première instance il n’avait été condamné qu’à un emprisonnement avec sursis et une confiscation, et le MP n’avait indiqué sur son formulaire de griefs que la condamnation à un emprisonnement avec sursis et une confiscation n’était pas proportionnelle au rôle du prévenu. La Cour de Cassation a jugé en termes généraux : “L’appelant peut aussi limiter son grief à un aspect d’un élément repris sur le modèle de formulaire de griefs." Elle en déduit ensuite plus concrètement : “Toutefois, si le ministère public vise uniquement la réforme ou la condamnation à certaines peines du prévenu concerné, ses mentions concernant ce sujet sur le formulaire de griefs doivent être suffisamment claires pour écarter tout doute possible.”
Même si la Cour a jugé in casu que la formulation du formulaire de griefs du MP ne faisait pas apparaître clairement que ses griefs ne portaient que sur l’emprisonnement et la confiscation imposés en première instance, la règle est néanmoins formulée de manière claire. Le MP peut limiter dans son formulaire de griefs ses griefs ainsi que la saisine du juge d’appel qui en découle, à une peine spécifique, pour autant qu’il le formule de manière suffisamment claire afin qu’aucun doute raisonnable ne puisse exister sur le sujet. Et, à la lumière du principe d’égalité, il n’existe aucune raison justifiant que la défense ne disposerait pas des mêmes possibilités pour moduler ses griefs contre la punition.
… mènent à de nouvelles possibilités procédurales tant pour le prévenu que pour le ministère public
Cet arrêt de la Cour de Cassation répond parfaitement à l’objectif du législateur qui consiste, grâce à l’obligation de formuler des griefs précis, à focaliser le traitement d’une affaire pénale en degré d’appel sur les points effectifs litigieux qui subsistent après le premier traitement de l’affaire pénale.[4] De plus, l’arrêt semble ainsi rajouter un instrument supplémentaire dans la boîte à outils procéduraux de la défense et du ministre public.
Si un prévenu peut globalement être d’accord avec la punition infligée en première instance, mais qu’une des sanctions (par exemple l’interdiction d’exercer certaines fonctions, professions ou activités, l’interdiction et les déchéances de certains droits, la confiscation) lui semble inacceptable, il semblait jusqu’à présent n’avoir le choix qu’entre un acquiescement ou un appel intégral contre la punition. Cette dernière possibilité n’était pas sans risque, la stratégie du MP étant de toujours répondre à un appel par un appel subséquent avec comme conséquence potentielle un alourdissement de la peine. Dorénavant le prévenu peut décider de limiter son grief contre la punition à cette sanction inacceptable, après quoi lors d’un appel purement subséquent – un appel subséquent par lequel le MP n’indique dans le formulaire de grief qu’il ne fait que ‘suivre’ cet appel du prévenu – la saisine du juge d’appel sera limitée à cette sanction. Dans ce cas, il est évident que cette stratégie peut également faire l’objet d’une concertation préalable informelle avec le parquet.
Et de son côté, l’arrêt de la Cour de Cassation fournit au magistrat du parquet qui trouve que la peine infligée en première instance est globalement une réaction sociétale adéquate à l’infraction, mais qui constate en même temps que le premier juge a imposé une peine illégale ou n’a pas imposé une peine légalement obligatoire, une solution d’économie procédurale. Il peut dorénavant y remédier par un appel limité à la peine spécifique, sans pour autant réouvrir toute la discussion en matière de punition devant le juge d’appel.
… et à un certain devoir de vigilance
Néanmoins cet arrêt de cassation oblige à une certaine vigilance. Le MP et la défense ne peuvent plus partir du principe qu’un appel contre la peine infligée signifie que le juge d’appel est saisi de l’intégralité de celle-ci. Ils devront dorénavant toujours soigneusement analyser le formulaire de griefs de leur adversaire.
Et au cas où ils ne seraient pas d’accord avec ces griefs limités contre la punition, ils sont obligés d’utiliser leur délai d’appel supplémentaire de 10 jours[5] afin de saisir le juge d’appel de l’intégralité de la peine infligée.
Conclusion
L’arrêt de cassation du 11 janvier 2022 dans laquelle la Cour de Cassation précise que (du moins) le ministère public peut limiter ses griefs dans le formulaire de griefs d’appel à une partie de la peine infligée en première instance, correspond pleinement à la ratio legis du système de griefs en matière pénale. En effet, ainsi est créée la possibilité, de commun accord, de limiter la discussion devant le juge d’appel en matière de punition aux sanctions concernant lesquelles il existe effectivement encore une discussion juridique. L’arrêt oblige cependant aussi le prévenu et le ministère publique à être vigilants car ils ne peuvent plus présumer simplement qu’un grief contre la peine infligée concerne nécessairement l’intégralité de la condamnation.
Joost Huysmans
Waeterinckx Avocats Droit Pénal des Affaires
[1] Cass. 7 novembre 2017, AR P.17.0727.N; Cass. 15 octobre 2019, AR P.19.0600.N; Cass. 11 février 2020, AR P.19.1028.N.
[2] Cass. 27 septembre 2017, AR P.17.0257.F; Cass. 11 décembre 2018, AR P.18.0435.N.
[3] Cass. 23 octobre 2019, AR P.19.0802.F; Cass. 20 février 2020, AR P.19.1028.N.
[4] Exposé des motifs, Doc. parl.Ch. repr. 2015-16, 54-1418/001, p. 83. Voir aussi : Cass. 11 septembre2018, AR P.18.0044.N.
[5] En effet, suite à la jurisprudence de la cour constitutionnelle le prévenu dispose également d’un délai de d’appel de 10 jours après appel du ministère public : C. Const. 6 juin 2019, nr. 96/2019; C. Const. 8 juillet 2021, nr. 103/2021.
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