Le 30 mars 2019, plus de 400 huissiers de justice, candidats-huissiers et stagiaires étaient présents lors du congrès national organisé par la CNHB.
La numérisation était l’une des priorités de l’agenda au sujet de laquelle plusieurs invités internationaux ont partagé leur vision. En guise d’introduction, vous trouverez ci-dessous un extrait du discours très apprécié de M. Bobant, huissier de justice français, président de la Fédération nationale des Tiers de Confiance et, surtout, un homme ayant une vision claire de l’avenir de la profession d’huissier de justice. En d’autres termes : l’avenir de l’huissier de justice sera-t-il digital ou non ?
Le discours de M. Alain Bobant
1. Mes propos contribuent à la mise en oeuvre d’une prise de conscience globale sans laquelle nous risquons de subir le processus de destruction créatrice exprimé par Schumpeter.
Les « nouvelles » technologies, la standardisation des procédés et l’abaissement des barrières des marchés ont rapetissé le monde et les changements structurels et concurrentiels qui planent sur les professions réglementées nous inquiètent de plus en plus.
Les professionnels du Droit, et particulièrement les officiers publics et ministériels, sont présentés aux yeux de leurs concitoyens comme des privilégiés alors qu’ils exercent des professions essentielles en matière de protection juridique. Ils se sentent stigmatisés.
L’angoisse des disruptions numériques gagne désormais les Huissiers de Justice qui perçoivent la transition numérique en termes de risques, alors qu’ils devraient raisonner en termes d’opportunités.
2. La digitalisation bouleverse la temporalité – les cycles s’accélèrent – et les « usagers » changent leurs habitudes : l’accès au droit ne se fait plus seulement via les professionnels et les institutions qui le pratiquent. Comme dans de nombreux autres domaines, les professionnels ne sont plus les seuls à détenir le savoir : les consommateurs font leurs propres recherches sur Internet et ils provoquent ainsi la création d’un nouveau marché et l’émergence de nouveaux acteurs. Les acteurs facilitant l’autojuridication se multiplient – essentiellement des starts-up: les « legaltech » – et ils ont été immédiatement catalogués comme des agresseurs déloyaux par les professionnels réglementés qu’ils impactent.
3. La technologisation réduit l’intermédiation physique traditionnelle en la remplaçant par le jeu d’applications mobiles opérées depuis des plateformes et exploitables sur chaque smartphone. De nouveaux outils et services – tels les smart contracts de la plateforme blockchain Ethereum – pourraient même permettre une automatisation complète des processus impliquant impérativement des interventions et décisions humaines. De la même façon qu’Uber se positionne face aux taxis, on ne détruit pas les services attendus, mais on « re-modélise » les moyens et les méthodes permettant d’en bénéficier, et en apportant de la valeur ajoutée, avec une réduction notable des coûts et une rapidité d’exécution attrayante.
4. L’Huissier de Justice a un rôle-clé à jouer dans le nouveau marché.
Il est le “maître” de la confiance et il peut « ré-humaniser » la relation du client avec l’espace virtuel. Mais « l’évidence, est-elle évidente » pour les Huissiers de Justice ? Quel est leur quotient de résistance au changement ? Disposent-ils de suffisamment d’agilité ? Peuvent-ils devenir des fournisseurs branchés de services et de produits fondés sur des technologies novatrices ?
Pour survivre dans un marché très pollué, ils doivent disposer d’un potentiel entrepreneurial qui repose moins sur le capital que sur la créativité, l’innovation et l’imagination. Ils doivent s’auto-disrupter, s’auto-ubériser, en réintermédiant via la digitalisation, et en ouvrant leurs marchés – anciens revisités et nouveaux – au plus grand nombre.
Ils survivront à travers la création de nouveaux modèles économiques disrupteurs proposant des services novateurs et en remplaçant par des solutions technologiques originales, peu chères et plus accessibles, les composantes traditionnelles de leur métier. Ils doivent déranger eux-mêmes leur marché établi afin que des entreprises privées ne le fassent à leur place.
5. L’Huissier de Justice doit se garder de penser que les menaces qui planent sur lui ne touchent que le domaine non-monopolistique du recouvrement et du constat. Dans son secteur monopolistique il est exposé – à plus ou moins long terme – à des menaces et à des dangers.
6. Pour éviter de se faire exclure de ce secteur fétiche d’activité, l’Huissier de Justice doit le dépoussiérer lui-même : après avoir incarné le modèle historique de la signification, il ne doit laisser à aucun autre intervenant le soin d’incarner un modèle économique d’avenir. La Profession doit prendre les devants et tenter d’élaborer un cahier des charges et une cinématique de mise en production d’un nouveau mode de notification. Le DepoMail (que j’ai créé en 2000… il y a 19 ans !) pourrait constituer une base de réflexion intéressante en vue de la conception de la signification du futur.
La valeur ajoutée de la garantie juridique véhiculée par l’Huissier de Justice lui permettra de parer aux propositions des acteurs disruptifs… et de préserver son marché.
Je suis également persuadé qu’une partie du domaine pourtant très réservé de l’exécution est menacé à moyen terme par l’avènement des technologies d’une 4e plateforme faisant la part belle à la cognitique et à la biomécanique : nanotechnologies et nano-drones, robotisation et particulièrement cobotisation, holographie… Alors, le Numérique n’est pas une mode passagère et il n’est plus une utopie.
Hyper-diffusé, hyper-approprié, il a une incidence colossale sur notre façon de travailler et de vivre.
Bon gré-mal gré, les Huissiers de Justice ne peuvent demeurer spectateurs de la transformation numérique et subir une révolution concurrentielle qui atteint tous les secteurs de la société et de l’économie.
La sortie de leur zone de confiance sera douloureuse, mais elle est indispensable. Le temps est venu pour eux d’utiliser la technologie comme un levier de croissance.
Ils doivent accroître leurs compétences digitales pour ne pas se faire laminer par des technologies disruptives qu’ils auraient méconnues. Ils doivent s’adapter aux nouveaux usages et s’approprier les technologies-clés pour démultiplier leurs accès au marché. Ils doivent préempter dans l’œuf les innovations de rupture, voire les acquérir, les incuber et les accélérer.
Dématérialiser : OUI.
Automatiser : OUI.
MAIS pas sans une tierce personne physique derrière la machine, une personne fiable, historiquement connue et reconnue, compétente, objective, assujettie à un très fort secret professionnel… un Tiers de Confiance : l’Huissier de Justice !
L’Huissier de Justice a un rôle-clé à jouer dans le nouveau marché. Il est le « maître » de la confiance, et il peut « ré-humaniser » la relation du client avec l’espace virtuel. Pour survivre dans un marché très pollué, les Huissiers de Justice disposent d’une vraie richesse, leur fonction de tiers de confiance institutionnel. Il leur suffit d’ajouter des compétences technologiques à ce potentiel.
Ils survivront à travers la création de nouveaux modèles économiques disrupteurs proposant des services novateurs et en remplaçant par des solutions technologiques originales, peu chères et plus accessibles, les composantes traditionnelles de leur métier.
Ils doivent déranger eux-mêmes leur marché établi afin que des entreprises privées ne le fassent à leur place. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, qu’ils préserveront leur survie pendant encore quelques siècles.
Alain Bobant
Ci-dessous, vous pouvez visionner un reportage du congrès national des huissiers de justice du samedi 30 mars 2019:
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