La crise sanitaire que nous traversons entraîne une série de questions juridiques et a des conséquences sur des actes autrefois anodins comme la location ou la vente d’un bien immobilier. Au vu de la situation actuelle, est-il possible de se dégager d’engagements pris avec un bailleur ou un acheteur ? La pandémie mondiale permet-elle d’invoquer le cas de force majeure ?
Il n’est pas question de répondre de me manière exhaustive à ces questions mais d’effectuer un rapide survol des interrogations les plus couramment rencontrées.
Principe : Qu’est-ce que la force majeure ?
C’est un événement à caractère soudain, imprévisible et inévitable, qui n’est ni causé, ni voulu par un individu. Dans le contexte contractuel, il va s’agir, pour un individu débiteur dans le cadre d’un contrat (1147, 1148, 1302 et 1722 du Code civil), de se trouver dans une situation indépendante de sa faute qui l’empêche, de manière insurmontable d’exécuter les obligations qui découlent (éventuellement) de ce contrat.
Deux conditions doivent être réunies pour que le débiteur puisse invoquer la force majeure.
Une situation indépendante de sa volonté. Le débiteur (celui doit payer ou qui s’est engagé à faire quelque chose par exemple), ne peut pas invoquer le cas de force majeure s’il est lui-même responsable de la situation qui a rendu impossible l’exécution de ses obligations contractuelles.
Et l’aspect insurmontable du respect de ses obligations contractuelles. Il faut que, du fait de cet événement soudain, imprévisible et inévitable, le débiteur se trouve dans l’impossibilité absolue de remplir sa part du contrat. Une simple difficulté financière ne suffit pas (Cass. 28 juin 2018). Par exemple, l’obligation de payer un achat était bien prévisible, elle ne disparaît donc pas, c’est au niveau de la capacité de paiement que peut se poser le problème.
Comment prouver qu’il y a cas de force majeure ?
Le débiteur de l’obligation peut prouver qu’il se trouve dans un cas de force majeure par tous les éléments qu’il a en sa possession.
Quels sont les effets du cas de force majeure ?
Si le débiteur prouve que les conditions de la force majeure sont bien réunies et n’exécute pas son obligation, sa responsabilité ne peut être engagée.
Exception : si le débiteur avait déjà été mis en demeure d’exécuter son obligation, il ne peut invoquer le cas de force majeure. On peut en effet considérer dans ce cas que sa faute dans le retard de l’exécution du contrat le rend responsable de la situation.
L’aspect insurmontable peut-être apprécié différemment selon que l’événement affecte tout ou partie du contrat et selon que l’impossibilité d’exécuter le contrat est temporaire ou définitive.
Si l’évènement ne concerne qu’une seule obligation dans le contrat
Si l’impossibilité d’exécuter l’obligation est temporaire, son exécution n’est que suspendue. Une fois que l’impossibilité sera terminée, le débiteur doit à nouveau exécuter son obligation.
Par contre, si cette impossibilité est définitive, l’obligation est éteinte.
Les autres clauses du contrat n’étant pas affectées par le cas de force majeure, elles continuent à s’appliquer.
Si l’évènement concerne toutes les obligations du contrat
Si le cas de force majeure est temporaire, toutes les obligations sont suspendues pour toutes les parties au contrat (Cass. 13 janvier 1956).
Si le cas de force majeure est définitif, ou qu’il est temporaire mais fait perdre toute utilité au contrat, le contrat est dissous et toutes les parties sont libérées de leurs obligations.
Si l’évènement concerne une obligation centrale du contrat
Que le cas de force majeure soit définitif ou temporaire, si l’obligation inexécutable fait perdre toute utilité au contrat celui-ci est dissous. A nouveau, chaque partie prenante du contrat est libérée de l’entièreté de ses obligations.
Dans ce cas, toutes les parties au contrat vont pouvoir invoquer la force majeure, même la partie qui n’est pas directement affectée par le cas de force majeure (Cass. 27 juin 1946).
Quid des obligations déjà exécutées si le contrat est dissous ?
Les effets de cette dissolution sont en principe non-rétroactifs donc la dissolution ne fonctionne que pour les obligations non encore exécutées.
Nuance : si l’obligation est partiellement exécutée, les parties doivent défaire ce qui a été accompli en partie.
Est-ce que le contrat peut déroger au principe de force majeure ?
Oui, les parties peuvent, lors de la conclusion d’un contrat, décider d’insérer des clauses qui empêcheront le débiteur d’invoquer le cas de force majeure pour ne pas exécuter ses obligations. Cela fait partie des raisons pour lesquelles il faut toujours bien lire un contrat avant de le signer.
Nuance : si cette clause déséquilibre complètement le contrat et place une partie dans une situation impossible, la clause pourrait être dénoncée pour abus de droit.
Par ailleurs, les autorités peuvent prendre des mesures spéciales dans certains domaines spécifiques, ainsi les arrêtés ministériels du 19 mars 2020 pour ce qui concerne les activités récréatives et les voyages.
Exemples d’applications aux contrats de vente et location immobiliers
La pandémie mondiale de coronavirus peut être considérée comme un cas de force majeure temporaire, même si sa durée n’est pas encore précisée.
Est-ce que je peux annuler la vente d’une maison ou d’un appartement en invoquant le cas de force majeure lié au coronavirus ?
Non, s’il y a eu accord sur les éléments essentiels et substantiels du contrat, tous les éléments qui constituent le contrat de vente peuvent être exécutés en respectant les règles de distanciation sociale. Le compromis de vente peut être signé à distance et l’acte authentique par procuration. L’événement ne rend pas insurmontable la finalisation de la vente, le critère de l’impossibilité d’exécution n’étant pas rempli, pas d’invocation possible.
Est-ce que je peux ne pas payer le loyer et les charges de mon bail de résidence principale en invoquant le cas de force majeure lié au coronavirus ?
Non, en tant que le locataire, je continue à pouvoir habiter dans le logement. Les obligations du contrat de bail restent remplies de part et d’autre et les difficultés financières temporaires de paiement de loyer, même liées à la pandémie, ne sont pas considérées comme insurmontables.
Le bailleur n’étant pas dans l’impossibilité de procurer une jouissance paisible des lieux loués, ce qui rendrait le contrat inutile, et le locataire ne pouvant invoquer l’argument pécunier, nous ne sommes pas dans les conditions du cas de force majeure. Le locataire qui éprouverait des difficultés à payer son loyer, en raison d’un chômage économique ou d’une autre cause liée à la crise du coronavirus, peut évidemment demander un arrangement avec son bailleur, voire même faire appel à l’intervention du Juge de Paix.
Est-ce que je peux ne pas payer le prix de la location d’une maison ou d’un appartement loué pour les vacances en invoquant le cas de force majeure lié au coronavirus ?
Oui même si, dans le cas présent, le cas de force majeure ne concernera pas les obligations du locataire car l’interdiction gouvernementale de se rendre dans la résidence n’impacte pas sa capacité à payer le prix de la location. C’est le bailleur qui est concerné par la situation de force majeure. C’est lui qui se trouve dans l’impossibilité de donner au locataire la jouissance paisible des lieux, ce qui fait perdre toute utilité au contrat et entraîne sa dissolution même si le cas de force majeure n’est que temporaire.
C’est le propriétaire qui est empêché, de manière insurmontable, d’exécuter ses obligations mais le locataire peut s’y référer, pour arguer la dissolution du contrat pour perte d’utilité, et donc la libération de son obligation de payer le prix de la location.
Ce raisonnement vaut tant que les autorités interdisent les locations de vacances (par exemple : une location pour les vacances de Pâques 2020).
Est-ce que le coronavirus me permet de récupérer un acompte déjà payé au bailleur dans le cadre de la location d’un lieu d’hébergement, par exemple pour les mouvements de jeunesse ?
Oui, puisqu’il est impossible pour le locataire d’accéder aux lieux et de les utiliser comme prévu dans le contrat. L’impossibilité de la location même temporaire fait perdre toute utilité au contrat de location et celui-ci est dissous.
La dissolution du contrat entraîne l’annulation des obligations partiellement exécutées. Comme le paiement de l’acompte n’est qu’une exécution partielle de l’obligation d’acquittement du prix de la location, la force majeure va avoir pour conséquence d’obliger le bailleur à défaire cette obligation partiellement exécutée et à rendre l’acompte.
Conclusion
La crise liée au coronavirus engendre un contexte propice à l’invocation du cas de force majeure. Cependant, avant de s’en prévaloir pour se libérer de ses obligations, le débiteur se doit de vérifier ce qui est stipulé dans son contrat. Se trouve-t-il bien en présence d’un obstacle rendant insurmontable l’exécution de son obligation ? Le contrat est-il devenu sans utilité ? N’est-il pas lui-même la cause de la situation difficile dans laquelle il se trouve ?
Chaque situation est particulière et l’intervention des tribunaux sera parfois nécessaire. Dans bien des cas, le conseil d’un professionnel sera utile. Les avocats sont ainsi en première ligne pour répondre à vos questions et vous apporter l’aide nécessaire.
Baptiste Legast, avocat renson-lex
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