Le contexte
L’entreprise X, filiale belge de Y (établie dans un autre état-membre de l’UE); travaille en outre-mer avec des consultants qui interviennent dans la conclusion de contrats avec des clients locaux de l’entreprise avec laquelle elle n’entretient qu’une relation contractuelle.
Initialement ces consultants étaient payés sur base d’un success fee. Dans certains pays les commissions payées ne reflétaient pas des prestations réellement fournies, mais plutôt des facility payments. Ce système fut modifié ultérieurement. Conformément à des directives strictes édictées pour tout le Groupe par la société-mère Y, les consultants sont depuis lors payés indépendamment du résultat obtenu et sur base de documents qui devraient prouver les prestations fournies
Malgré le fait que le nouveau système s’efforce de remédier au paiement de commissions fictives, le danger subsiste que dans certaines régions étrangères une partie des commissions payées ne représentent toujours pas des prestations réellement fournies. La raison étant que Y persiste à définir des objectifs constants de vente à ses filiales, dont X.
Gestion du risque pénal du point de vue de la filiale belge X
Les directives édictées par le senior management de la société-mère cadrent dans son devoir de bonne gouvernance en installant une politique de compliance, en particulier pour éviter la corruption internationale. Ainsi ce management tente (à juste titre!) de limiter son risque de responsabilité. Quelque peu ambigu néanmoins étant donné que le maintien des mêmes objectifs commerciaux ouvre la porte au maintien de cette corruption.
Cependant le management local de X ne peut subir ceci simplement comme étant une instruction édictée dans le cadre de la relation d’autorité mère-fille. Les filiales du Groupe (dont X) portent (conjointement) la responsabilité de réaliser cette politique de compliance sur le terrain. Ceci nécessite en d’autres termes de (notamment) X une collaboration active qui doit se manifester sur le terrain par des instructions et des actions concrètes, surveillance et contrôle, flux loyal d’information vers la direction générale, etc. Ceci signifie que quand le management local identifie des risques sur le terrain, il doit en rapporter au senior management. Car le management local est à même d’avoir connaissance de certains risques et il dispose d’ailleurs de la possibilité d’y remédier. Ne rien faire peut positionner l’imputabilité pénale entièrement ou partiellement auprès du management local et/ou ses dirigeants inertes.
Il va de soi que le paiement de commissions pour des prestations non fournies contient des risques pénaux. Dans ce cas les risques se situent notamment dans la nécessité d’établir des documents qui par définition ne reflètent pas la réalité, en particulier parce qu’ils présentent des prestations fictives comme des prestations réelles. La destination finale de « l’excédent » ainsi créé dans certains pays, se laisse facilement deviner.
Etant donné que des faux documents ont été établis et/ou utilisés en Belgique, la fraude se situe, du point de vue du droit pénal, en Belgique. Rien que par l’unité d’intention entre les faux et la corruption commise à l’étranger, il est possible de poursuivre et de sanctionner en Belgique. En outre, a minima une partie du chiffre d’affaires généré par la corruption est à considérer comme un avantage patrimonial illégal qui sera confisqué en cas de condamnation. La réception d’un tel chiffre d’affaires, sa transformation ainsi que sa dissimulation par des faux documents, tombe sous le spectre du blanchiment. De tels risques sont quasiment imprescriptibles et peuvent rester à charge des futures générations de management, même après des restructurations. De plus, elles peuvent sérieusement hypothéquer des restructurations.
Pour tous ces délits, tant les personnes morales que les personnes physiques sont poursuivies.
La jurisprudence nous apprend qu’il y a peu de chance de réussite d’invoquer devant un tribunal l’état de nécessité (vu les circonstances économiques) ou la contrainte (de la part de la société-mère).
La seule chose qui pourrait mener à une certaine clémence de la part du juge est la manière dont le Groupe traite cette problématique en matière de gestion. Et il ne suffit pas de disposer de codes éthiques. Le code et les autres aspects liés à la politique de compliance doivent également être implémentés effectivement sur le terrain. Si une évolution positive et pertinente est constatée, cela apaisera les autorités de poursuite pénale ainsi que le tribunal. Des directives internes ne deviennent un instrument efficace de compliance, et donc un instrument pour la gestion effective des risques de responsabilité, que pour autant que le contrôle du respect de celles-ci soit maximisé et qu’un réel système de contrôle et de sanction soit en place.
Un système inefficace de compliance – permettant comme dans ce cas que les règles soient étouffées par des objectifs commerciaux non-adaptés – risque d’être considéré comme rien de plus que du window dressing. Ceci aura pour conséquence un effet pervers sur le jugement de la responsabilité pénale de l’entreprise et/ou de ses dirigeants.
Un système efficace cependant, peut éviter ou limiter au maximum des risques nouveaux:
- Il est alors porté par “toute l’organisation”;
- Il renforce l’image de l’entreprise dans le monde extérieur, ce qui limite l’exposition aux autorités menant de multiples enquêtes;
- Il apaisera sans aucun doute le juge lors d’un éventuel jugement d’éventuelles infractions.
Enfin, il faudra également dans ce cas tenir compte du risque d’un éventuel “passif historique”, dans le sens des commissions réalisées qui représentent des prestations fictives, et le chiffre d’affaires réalisé qui en découle. En d’autres termes, la question se pose ici également de l’exactitude de la comptabilité et des comptes annuels. Ceci implique non seulement des risques pour l’entreprise et/ou ses dirigeants en question mais aussi pour le réviseur (complicité, obligation de déclaration,…).
La prudence et l’expérience nous obligent de formuler un avertissement par rapport à des réflexions comme quoi tout cela n’ira pas si loin. Des infractions pénales peuvent se manifester de manières très différentes et fort étonnantes. Souvent l’origine est un fait qui n’est même pas directement lié à la fraude qui est finalement découverte. En outre, il faut considérer tout ceci en termes de gestion des risques. En risk management le traitement des risques est fonction de deux paramètres : la fréquence et l’ampleur du risque. Même si les risques pénaux ont certes une faible fréquence, l’ampleur de ces risques est énorme (perturbation de la continuité, réputation, coûts non-chiffrables, non-assurés, non-assurables, etc.).
Patrick Waeterinckx
Associé Waeterinckx Avocats Droit Pénal des Affaires
Lecteur en droit de procédure pénale à la Vrije Universiteit Brussel
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