Le 22 décembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») a rendu un jugement très attendu, dans l’affaire « Euroaptieaka »[1], par lequel elle a validé une règlementation lettone qui interdit la publicité, pour des médicaments, sur base du prix.
En l’espèce, une entreprise pharmaceutique, Euroaptieka, avait annoncé, en mars 2016, 15% de réduction pour tout achat d’au moins trois articles (i.e. des médicaments) sur son site Internet ou via son magazine périodique.
Très vite, les autorités lettones ont interdit cette publicité sur base d’une disposition de droit national implémentant la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (la « Directive »).
En janvier 2020, Euroaptieka a contesté cette interdiction et, à cet effet, a saisi la Cour constitutionnelle lettone qui, lors de son examen du dossier, a décidé de suspendre la procédure afin d’interroger la CJUE sur la conformité de la règle lettone avec le droit européen.
En particulier, la question se posait de savoir si la disposition nationale enfreignait le droit européen dans la mesure où elle s’applique à toute publicité faite pour un médicament spécifiquement désigné, mais aussi toute publicité faite pour des médicaments de manière générale sans identifier un produit en particulier, tandis que la Directive, selon Euroaptieka, ne prévoirait d’interdiction que pour la publicité faite pour des médicaments spécifiques.
Plus encore, selon Euroaptieka, seules certaines pratiques sont interdites : celles visées à l’article 90 de la Directive. À cet égard, les États membres ne peuvent en viser davantage dans la mesure où la Directive aurait procédé à une harmonisation complète en la matière.
En bref, la question posée à la CJUE était la suivante : les autorités lettones, en interdisant la publicité faite par Euroaptieka en mars 2016, ont-elles outrepassé ce qui est permit par le droit européen et, en particulier, la Directive ?
La CJUE, dans son jugement, répond que non.
À l’appui de sa décision, la CJUE clarifie d’abord que la définition de « publicité pour des médicaments » au sens de la Directive comprend notamment la publicité faite pour des médicaments en général, c’est-à-dire une publicité faite pour encourager l’achat de médicaments sans qu’il soit requis de préciser lesquels.
La CJUE cite, à cet égard, plusieurs points qui étayent sa motivation. On retiendra l’évocation de l’argument téléologique selon lequel l’objectif de la Directive est de sauvegarder la santé publique et qu’à cet égard, cet objectif ne saurait être correctement rempli si la publicité faite pour des médicaments, même de manière générale, n’était pas visée par la Directive.
Ensuite, la CJUE répond à la deuxième question de l’arrêt en expliquant que les autorités lettones n’ont pas violé le droit communautaire en adoptant la règle concernée, sur la base de laquelle la publicité d’Euroaptieka a été jugée illégale et interdite.
À cet égard, elle précise que les États membres n’outrepassent pas ce que la Directive prévoit lorsqu’ils interdisent certaines pratiques publicitaires qui ne sont pas visées dans la Directive pourvu (i) qu’ils le fassent afin d’encourager l’usage rationnel des médicaments ; (ii) qu’ils poursuivent les objectifs de la Directive, c’est-à-dire la sauvegarde de la santé publique (ainsi que la prévention de la consommation excessive et irrationnelle de médicaments).
Enfin, quant à la mesure lettonne elle-même, la CJUE rappelle qu’elle a déjà jugé qu’une publicité qui détourne le consommateur d'une évaluation objective de la nécessité de prendre un médicament encourage l'utilisation irrationnelle et excessive de ce médicament.
En conséquence, au vu tant des informations dont elle dispose que du raisonnement dont il vient d’être question, la CJUE conclut que la règle lettone n’outrepasse pas ce que la Directive prévoit.
Sans pouvoir être qualifié de révolutionnaire, cet arrêt apporte des précisions utiles quant à l’interprétation des règles européennes relatives à la publicité des médicaments telles qu’elles sont rédigées dans la Directive et interprétées par les juridictions européennes et nationales, en particulier au regard des arrêts Doc Morris[2] et Gintec[3] sur le point de l’étendue de l’harmonisation opérée par la Directive et sur la liberté dont dispose les Etats membres de légiférer en la matière en « ajoutant » à ce que prévoit la Directive.[4] Plus spécifiquement, outre que l’arrêt précise que la publicité faite pour les médicaments en général est également concernée par les règles de la Directive, il paraît indiquer que les États membres retiennent plus de marge de manœuvre que ce qui avait été précédemment compris.
En conclusion, l’arrêt Euroaptieka sera d’une grande utilité pratique lorsque les entreprises pharmaceutiques (et leurs conseils) s’interrogeront sur la portée de l’article 9 de la loi du 25 mars 1964 sur les médicaments, sur les pratiques publicitaires autorisées à cet égard et sur la légalité de certaines règles ou décisions belges en la matière.
Annabelle Bruyndonckx, Olivier Mignolet, Lucas Michel (avocats Simmons-Simmons LLP)
Consultez aussi: Guide pratique de la loi sur les médicaments à usage humain
Références
[1] C.J.U.E., C-530/20, Euroaptieka, 22 décembre 2022, ECLI:EU:C:2022:1014.
[2] C.J.U.E., C-322/01, Deutscher Apothekerverband eV contre 0800 DocMorris NV et Jacques Waterval, 11 décembre 2003.
[3] C.J.U.E., C-374/05, Gintec International-Export GmbH c. Verband Sozialer Wettbewerb eV ., 8 novembre 2007.
[4] Voir, à cet égard, Mignolet, O. et al., Traité de droit pharmaceutique, la commercialisation des médicaments à usage humain, 2èmeédition, Bruxelles, Kluwer, 2016 , pp. 972-976 ; Weyne Ch., Destrée, M.-Ch., Guide pratique de la loi sur les médicaments à usage humain, Knopspublishing, Pharma.be, Bruxelles, 2022, pp.168-183.
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