27 Mar 2020 | Corona Actua

La pandémie de COVID-19 peut-elle justifier le recours à la procédure négociée «sans publication» pour urgence impérieuse?

Par Jubel

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Opgelet: dit artikel werd gepubliceerd op 27/03/2020 en kan daardoor verouderde informatie bevatten.

La question se pose de savoir si les adjudicateurs peuvent invoquer la pandémie du COVID-19 pour recourir à la procédure négociée « sans publication» pour urgence impérieuse.[1] Cette procédure est en effet plus rapide et plus souple dans sa mise en œuvre qu’une procédure ouverte ou restreinte, voire même qu’une procédure négociée « avec publication ». Toutefois, s’agissant d’une procédure d’exception, en ce qu’elle limite la concurrence puisque l’adjudicateur choisit lui-même les opérateurs économiques avec lesquels il va négocier, elle est strictement encadrée. Il revient à l’adjudicateur, dans un premier temps, de démontrer qu’il répond aux conditions imposées par la loi et permettant d’y recourir.

Conditions

L’adjudicateur peut recourir à la procédure négociée « sans publication » « lorsque l’urgence impérieuse résultant d’événements imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur ne permet pas de respecter les délais exigés par la procédure ouverte, restreinte ou concurrentielle avec négociation. Les circonstances invoquées pour justifier l’urgence impérieuse ne peuvent, en aucun cas, être imputables au pouvoir adjudicateur ».[2]

Selon la Cour de justice de l’Union européenne [3], il y a « urgence impérieuse » lorsque les trois conditions cumulatives suivantes sont rencontrées :

  • existence d’un évènement imprévisible ;
  • existence d’une urgence impérieuse incompatible avec les délais exigés en cas de mise en concurrence ;
  • existence d’un lien de causalité entre ces deux éléments.

Rappelons que le recours à la procédure négociée « sans publication » pour urgence impérieuse n’implique aucune limite de montant. Il est dès lors possible de recourir à cette procédure quel que soit le montant du marché.

Evénement imprévisible

L’appréciation de l’existence de circonstances imprévisibles est de stricte interprétation et cette condition n’est rencontrée que lorsqu’il convient de gérer des situations imprévisibles, immédiates et urgentes à court terme. En d’autres termes, seules sont visées les situations qui ne peuvent absolument pas être gérées par une procédure ouverte ou restreinte, voire par une procédure négociée « avec publication ». A titre d’exemple, une situation d’urgence impérieuse peut résulter d’une catastrophe technologique ou naturelle[4], qui constitue sans conteste un événement imprévisible.

L’on peut dès lors considérer que la crise sanitaire liée au Covid-19 qui touche actuellement la Belgique constitue un évènement ayant pour conséquence de contraindre un certain nombre d’adjudicateurs à faire face à des situations immédiates et urgentes à court terme, qui ne peuvent manifestement pas être gérées selon une autre procédure de passation.

Urgence impérieuse

La seconde condition est la situation d’urgence impérieuse incompatible avec les délais normaux de mise en concurrence. Il appartient à l’adjudicateur de démontrer que les autres procédures, même avec des délais réduits, n’auraient pas pu être appliquées. A ce propos, il ne faut pas confondre l’«urgence simple », qui peut être la conséquence d’actes posés par l’adjudicateur et trouve une solution dans la réduction des délais de procédure, et l’ « urgence impérieuse », qui ne peut en aucun cas être le fait de l’adjudicateur.

La pandémie de Covid-19 constitue sans conteste un évènement imprévisible duquel découle une urgence impérieuse incompatible avec les délais normaux de mise en concurrence dans la mesure où elle contraint un certain nombre d’adjudicateurs à faire face à des situations immédiates et urgentes à court terme afin d’endiguer la crise. Elle ne résulte par ailleurs aucunement d’un quelconque évènement imputable à l’adjudicateur.

Lien de causalité

Enfin, et c’est la troisième condition, il faut que l’urgence impérieuse résulte de l’événement imprévisible et donc qu’il existe un lien de causalité entre les deux. A mesure que la date de l’événement imprévisible s’éloigne, la nécessité de réaliser les prestations présente de moins en moins le caractère d’urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles[5].

Application

Ainsi, la procédure négociée « sans publication » peut être appliquée aux marchés publics qui doivent être lancés en urgence pour faire face à la situation sanitaire actuelle. Tel est notamment le cas des marchés publics de fourniture de masques chirurgicaux et FFP2, de gels hydro-alcooliques, de respirateurs médicaux, … mais également de l’engagement de certains prestataires de services, voire de la réalisation de travaux.

La question de l’application de cette procédure se posera également au moment où il conviendra de rattraper le retard pris en raison du confinement. Il faudra alors de vérifier, au cas par cas, si les conditions rappelées ci-dessus s’appliquent, d’autant qu’à mesure que l’épidémie s’éloignera, la nécessité de réaliser des prestations, de procéder à des livraisons de fournitures ou d’exécuter des travaux auront de moins en moins le caractère d’urgence impérieuse motivée par le Covid-19. En d’autres termes, lorsque les marchés liés strictement à la gestion de la pandémie auront tous été passés, il faudra se tourner vers l’avenir et envisager les marchés publics à passer, indépendamment de la crise du COVID-19. Or, il est évident que l’attribution de certains de ces marchés aura pris du retard, parfois important, et il sera alors tentant d’invoquer l’urgence impérieuse pour pouvoir recourir à la procédure négociée « sans publication ».

Le message est donc qu’il faut examiner, pour chaque commande, si les conditions de l’urgence impérieuse sont concrètement rencontrées.

Xirius Public

***

Références:

[1] Pour rappel, il s’agit de la procédure négociée sans publication préalable dans les secteurs classiques et de la procédure négociée sans mise en concurrence préalable dans les secteurs spéciaux.

[2] Dans les secteurs classiques, il s’agit de l’article 42, § 1er, b), de la loi du 17 juin 2016 tandis que dans les secteurs spéciaux, il s’agit de l’article 124, § 1er,  5°, de ladite loi.

[3] C.J.U.E., aff. C-394/02 du 2 juin 2005, COMMISSION/REPUBLIQUE HELLENIQUE ; voy. dans le même sens : C.J.C.E., aff. C-107/92 du 2 août 1993, COMMISSION/ITALIE, Rec. p. I-4655 ; C.J.C.E., aff. C-318/94 du 28 mars 1996, COMMISSION/ALLEMAGNE, Rec. p. I-1949.

[4] Considérant n° 80 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics.

[5] C.E. France, arrêt du 1er octobre 1997 n° 151.578, HEMMERDINGER.

 

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