Fort de son expérience récente dans la gestion du virus Ebola, l’Ouganda a rapidement mis en place un plan d’ampleur pour contenir la propagation du COVID-19. Des mesures préventives ont été prises dès le 18 mars, avant même que le premier cas de contamination ne soit enregistré dans le pays. Alors que le premier cas a été recensé le 22 mars, le personnel sanitaire était déjà en état d’alerte et des mesures barrières, telles que le lavage régulier des mains, étaient déjà promues par les autorités.
Cet article couvre la période du 18 mars à début juin 2020. Durant cette période, les cas de Covid-19 dans le pays ont connu une augmentation régulière avec près de 700 cas recensés.
Une réponse présidentielle et orale à la crise pandémique
L’Ouganda a répondu à la crise pandémique à travers la mise en place de facto d’un état d’urgence. Le président a choisi de ne pas faire appel à l’article 110 de la Constitution, qui lui confère la possibilité de déclarer l’état d’urgence avec l’accord du Parlement. Il a préféré adopter une série de déclarations aux bases légales incertaines. La première fut énoncée le 18 mars 2020 et visait à imposer un confinement et un couvre-feu stricts à travers 34 mesures (ex. la fermeture des écoles, des bars et des églises ; une quarantaine de 14 jours à l’arrivée sur le territoire, l’interdiction d’entrée en Ouganda). Le ministère de la santé les a par la suite promulguées dans une série de décrets et ordonnances, tel que prévu dans la Section 29 de la loi de santé publique CAP. 281, qui confère au ministre de la santé des pouvoirs étendus pour gérer et prévenir la propagation de pandémies.
Cependant, la plupart de ces mesures ont été mises en œuvre uniquement sur base des directives présidentielles, et avant même que celles-ci ne soient promulguées dans les décrets et ordonnances du ministre de la santé. À titre d’exemple, la directive présidentielle du 18 mars n’a été publiée au journal officiel comme décret ministériel que le 24 mars. Les déclarations du Président n’ont cependant pas de valeur juridique contraignante en elles-mêmes. Si le site internet de la présidence propose des transcriptions des directives du Président Musevini, les Ougandais.e.s doivent se reposer sur les médias pour s’informer sur les restrictions de leurs droits et libertés dans le contexte de la crise. Ces rapports sont le plus souvent disponibles en anglais, sans traduction officielle en langue vernaculaire.
Cette façon de gouverner est contraire aux standards internationaux de protection des droits humains. En effet, la Charte Africaine des droits de l’Homme et des Peuples dispose que toute limitation aux droits humains – par exemple à la liberté de de circulation ou à la liberté de rassemblement pacifique (articles 11 et 12) – doit être prévue par la loi et limitée à l’objectif de préservation de « la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publique ».
La neutralisation des contre-pouvoirs
Les enjeux ne sont pas purement théoriques. La décision de ne pas déclarer l’état d’urgence a privé le Parlement de son rôle constitutionnel de contrôle et de contrepoids face aux pouvoirs exceptionnels que s’est accordé ces derniers mois le pouvoir exécutif pour limiter les libertés individuelles de ses citoyens. Les actions du Parlement n’ont pas non plus été exemptes de critiques pour autant, avec sa décision en début de crise d’accorder 20 millions de shillings (4.800 euros) à chacun de ses membres, sur leur compte personnel, pour qu’il.elle.s luttent contre la pandémie dans leur circonscription. La Cour suprême a finalement ordonné aux députés de reverser ces fonds à la commission parlementaire, au groupe de travail national Covid-19, ou encore aux groupes de travail Covid-19 régionaux.
Un tel jugement reste une exception, les audiences ayant été suspendues à partir du 20 mars, excepté pour les requêtes urgentes et les demandes de libération conditionnelle. Les services judiciaires sont donc réduits au minimum, essentiellement pour répondre à l’introduction d’actions en référé concernant l’administration de la justice. Un avocat a ainsi contesté devant la Cour suprême la décision du ministère de la santé de ne pas inclure les services d’aide légale dans une liste de « services essentiels », considérant qu’il s’agissait d’une violation du droit à un procès équitable. Alors que le procès était en cours, le Président a finalement annoncé de nouvelles lignes directrices permettant à un maximum de 30 avocats à la fois de fournir des services urgents d’aide légale. La Cour suprême a finalement réclamé que le ministère de la santé poursuive la mise en œuvre de la directive par l’intermédiaire des procédures opérationnelles standards.
La concentration des pouvoirs dans les mains de l’exécutif sans contrôle ni parlementaire ni juridictionnel effectif, associée à un manque de clarté sur le statut ainsi que sur le contenu des mesures adoptées pour contenir la pandémie, ont constitué un terreau fertile à la commission d’abus dans le cadre de l’application des mesures. L’on relève en particulier l’utilisation excessive de la force par les forces de sécurité, ce compris les Unités de défense locales (Local Defence Unit), pour faire appliquer les mesures de confinement, ainsi que le harcèlement de journalistes et de défenseur.se.s des droits humains. Tout ceci s’inscrit dans une tendance toujours plus grande à la limitation de l’espace civique en Ouganda. Ces sujets seront développés plus en profondeur dans de futurs articles sur l’administration de la justice et l’impact des restrictions de circulation sur les droits et les libertés des ougandais.
Michael Musiime, Elisa Novic, Nathalie Vandevelde
Les auteurs souhaiteraient remercier Irene Anying et Romain Ravet pour leur contribution sur la première version de ce document, ainsi que LASPNET Ouganda, et plus particulièrement Badru Walu, pour son assistance dans la collecte de données.
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