Au début de cette année, le nouvel article 6:3 du CC (Code civil) a suscité beaucoup d'émoi, y compris dans le monde des affaires. Très peu de temps après l'approbation du projet de loi, des messages alarmants sont apparus dans tous les médias ciblant le segment des administrateurs : la « suppression de la quasi-immunité de l'agent d’exécution » aurait des conséquences lourdes pour les salariés et les administrateurs. Le deuxieme article focalise sur la question: Quelles précautions peut-on prendre ?
Une question fréquemment posée concerne les possibilités offertes aux membres des organes d’administration « agent d’exécution-personne morale » de se protéger contre cette responsabilité supplémentaire, envers les parties contractantes de la société-association, pour d'éventuels dommages contractuels.
Lors du séminaire GUBERNA, cela a été schématisé comme suit :
Il n'est pas prévu de discuter en détail de la protection existante contre les erreurs de gestion traditionnelles, mais il est important de souligner que celle-ci reste inchangée. Les règles y afférentes n’impactent pas la nouvelle règle de responsabilité extracontractuelle à l'égard du cocontractant de la société-association.
Il s’ensuit que la limitation quantitative de responsabilité dans le cadre de la responsabilité des administrateurs au titre du droit des sociétés (article 2:57 CSA) ne peut pas être appliquée dans le contexte de la responsabilité extracontractuelle de l'article 6:3 du Code civil.
De même, la décharge donnée par l'assemblée générale de la société-association ne peut être opposée au cocontractant de la société-association…
L'état actuel de la doctrine suppose également que l'interdiction d’exonération contenue à l'article 2:58 CSA s'oppose à ce que les administrateurs soient exonérés de la responsabilité extracontractuelle soit dans les statuts, soit dans un contrat de gestion.
Ceci est basé sur le libellé littéral de cet article, qui stipule :
« La responsabilité d'un membre d'un organe d'administration ou délégué à la gestion journalière ne peut être limitée au-delà de ce qui est prévu à l'article 2 :57. La personne morale, ses filiales ou les entités qu'elle contrôle ne peuvent exonérer ou garantir par avance les personnes mentionnées au premier alinéa de leur responsabilité envers la [ 1 personne morale] 1 ou envers les tiers. Toute disposition des statuts, d’un accord ou d’une expression de volonté unilatérale contraire aux dispositions du présent article sera réputée non écrite. »
Une clause dans les statuts ou dans un contrat de gestion en vertu de laquelle la société-association gérée soit libère l’administrateur de la responsabilité extracontractuelle de l'article 6.3 du Code civil, soit l'indemnise de manière proactive pour cela, serait considérée comme inexistante. Les règles du CSA sont en effet des règles impératives (alors que l'article 6.3 du Code civil constitue du droit supplétif).
Cela ne s'applique évidemment qu'aux actes posés en tant qu’administrateur/membre de l'organe administratif ou délégué à la gestion journalière. Comme indiqué ci-dessus,une distinction bien documentée entre le rôle d’administration et les autres fonctions exécutives pourrait ici apporter un certain soulagement.
Ce qui offre encore plus de sécurité juridique est le fait d’insérer des clauses d’exonération dans les contrats entre la société-association gérée et le cocontractant. Celles-ci peuvent cibler directement les « auxiliaires » : le contrat principal peut prévoir que le créancier contractuel renonce à ses créances extracontractuelles à l'égard des agents d'exécution.
Toutes les clauses générales d'exonération du contrat principal peuvent également être invoquées par l’administrateur conformément à l'article 6:5 § 2 du Code civil si le tiers s’adresse à lui de manière extracontractuelle. Si le cocontractant-client s'adresse à un « auxiliaire », celui-ci peut invoquer tous les moyens de défense découlant du contrat principal, tels que les délais d'expiration ou les délais de prescription raccourcis.
Conclusion : bonne gouvernance par rapport à « agent d'exécution » ?
Comme nous l'avons mentionné, nous n'en sommes qu'au début. Même s'il n'y a aucune raison de faire trembler le monde des administrateurs, beaucoup de discussions seront sans doute encore menées avant d'avoir suffisamment de certitude quant à la jurisprudence qui se développera sur la base de la nouvelle disposition.
Un bon administrateur voudra éviter de servir de chair à canon,même si c'est pour alimenter des débats juridiques intéressants !
Pour soutenir l’administrateur dans cette démarche, nous résumons deux enseignements importants :
L'impact des nouvelles dispositions pour les administrateurs ne doit pas être exagéré, mais elles seront bel et bien invoquées dans des cas précis
La plupart des réclamations seront vraisemblablement formulées sur base d'actes exécutifs et opérationnels et en cas de faillite de la société-association gérée. Parce que si la société est en mesure de payer, il n’y a aucune raison de s’adresser aux administrateurs. Ce n’est que lorsque la contrepartie principale ne pourra plus payer qu’on commencera à s’en prendre aux administrateurs. Les administrateurs des structures présentant un risque de discontinuité doivent donc être doublement attentifs.
S'adresser aux administrateurs peut également avoir pour but d'accroître la pression pour parvenir à un règlement (plus) rapide. Cela peut se produire lors de négociations avec la société ou dans le cadre de relations avec des créanciers (importants) tels que les banques. Une lettre véhémente adressée à l'ensemble du conseil d'administration peut vous donner un coup de pouce supplémentaire pour réaliser ce que vous souhaitez. Lors de négociations, il peut être utile d’exclure à l’avance de telles « tactiques ».
Pour finir, il peut aussi s’agir d’une « pêche aux informations » pour obtenir des informations via « l’auxiliaire-administrateur » concerné.
Si vous approchez quelqu'un et qu'il commence à se défendre, cela peut fournir des informations avec lesquelles vous pourrez ensuite vous adresser à la société elle-même.
Un exemple frappant cité lors du séminaire est celui des juristes d’entreprise qui fournissent des conseils confidentiels, qui peuvent constituer des informations intéressantes pour étayer une plainte contre la société elle-même. Une situation similaire pourrait se produire à l'égard des administrateurs, qui échangent également des informations confidentielles avec la société. Des accords peuvent être conclus entre la société-association gérée et les administrateurs concernant les modalités et l'étendue du partage d'informations, sans bien entendu mettre en péril les droits de défense des administrateurs.
2. Un administrateur normal, raisonnable et prudent limitera également au maximum ce nouveau risque.
Même s’il n’y a aucune raison de paniquer, il faut agir maintenant et prendre des précautions :
- Prévoyez les clauses contractuelles nécessaires, y compris dans les contrats en cours lorsque cela est possible (voir ci-dessus)
- Vérifiez bien les polices d’assurance (vos actions en tant que « agent d’exécution – auxiliaire » sont-elles couvertes ?)
- Si nécessaire, apportez plus de clarté dans la gouvernance de la société-association, prévoyez une division claire des fonctions exécutives et non exécutives en tant qu'administrateur par rapport à celle de prestataire de services indépendant et étendez cela à la formulation des contrats et des procès-verbaux des décisions prises par les organes administratifs.
Sandra Gobert
Cet article est la dernière partie d'une série d'articles de GUBERNA sur l'abolition de la quasi-immunité et son impact sur les administrateurs et les sociétés, basée sur le texte « La suppression de la « quasi-immunité des auxiliaires » : quelles modifications devez-vous apporter au sein de l'organisation et dans le cadre de l'exercice de votre mandat d'administrateur ? ».
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