Lors de la séance solennelle d’ouverture de la Cour d’Appel de Mons, le premier président, Philippe Morandini, a parlé de la surcharge de travail à cause d’une pénurie de magistrats. Néanmoins, il ne doute pas que la loi sur les cadres des juridictions sera respectée.
Il y a un an, à l’occasion de ma première prise de parole en qualité de chef de corps, je vous exprimais les remerciements que j’adressais à l’ensemble des acteurs du monde judiciaire compte tenu de la situation que nous connaissions et face à laquelle ceux-ci avaient bien répondu pour faire face à une situation de crise.
Je concluais alors ma très brève intervention en signalant que je ne savais pas si l’an prochain, Monsieur le Procureur général, pourrait encore conclure de manière positive au sujet du comportement productif des juridictions du Hainaut face à leur charge de travail effective si cette situation devait perdurer. Je n’imaginais pas alors l’année judiciaire qui attendait la cour d’appel de Mons.
D’avance je remercie tous les acteurs judiciaires des juridictions du Hainaut de ne pas me tenir rigueur du contenu du présent exposé par lequel je vais limiter mon développement au seul effectif des magistrats de la cour d’appel, juridiction que je connais le mieux, ce qui ne constitue aucunement un manque de considération pour les autres acteurs, mais le temps m’est quelque peu compté.
Pas une structure rigide
Ainsi, c ’est en effet avec un effectif de 24 magistrats, sur un cadre de 30, soit avec un effectif ramené à 80%, que la cour d’appel a dû affronter l’hiver 2018 qui s’annonçait pourtant rude, jusqu’au mois de mars 2019 et l’arrivée, telles les hirondelles, de ….. deux nouveaux collègues, auxquels se sont joints deux autres nouveaux collègues arrivés eux à la fin du mois de juin.
Tout est donc réglé me direz-vous, puisqu’n additionnant 4 nouveaux collègues aux 24 déjà nommés, on obtient 28 magistrats sur un cadre de 30, soit 93,3% de taux de remplissage. Ce n’est pas si mal. « Mais de quoi se plaint-il » oserai-je, pour paraphraser certains interpelés sur la situation de la cour d’appel de Mons.
Mais c’est oublier qu’une juridiction n’est pas une structure rigide, elle est soumise, fort heureusement à évolution, et qu’il ne faut dès lors pas perdre de vue que l’appréciation de son effectif doit sans cesse être actualisé compte tenu des départs des membres qui la composent. Départs qui pourtant peuvent aisément être anticipés puisqu’ils résultent de décisions du seul pouvoir exécutif !
Ainsi à ce jour, je vous l’annonce, l’effectif concret de la cour d’appel de Mons n’est pas de 28, mais, bien de 25 en comptabilisant les nouveaux arrivés, compte tenu des départs intervenus entre-temps. Selon la LOI, pas selon ma volonté, mais selon la LOI, vous savez celle qui fixe également le degré d’imposition sur nos revenus notamment, selon la LOI donc, qui seule détermine le cadre des juridictions, pour rencontrer le travail effectif de la cour d’appel de Mons, celle-ci doit bénéficier d’un cadre de 30 magistrats. C’est une donnée légale.
Surcroit de 25%
Permettez-moi alors de revenir à cette période cruciale du 1er novembre 2018 au 20 février 2019, période durant laquelle la cour a fonctionné avec un effectif de 24 magistrats. Cette période globalise 112 jours ouvrés. Ceci signifie donc que pour cette période, le travail de la cour d’appel de Mons correspond, selon le terme même de la loi, à 112 jours ouvrés X 30 magistrats, soit un total équivalent à 3.360 jours ouvrés pour que ce travail puisse être effectué.
Or, cette charge de travail a dû être répartie non sur 30, mais sur 24 magistrats qui, ensemble, pour mener à bien le fonctionnement de la cour d’appel de Mons, durent donc assumer une charge de travail équivalente à 140 jours ouvrés sur une période de 112 jours ouvrés, soit un surcroit de 25% par magistrat. Ce n’est déjà pas si mal.
Mais j’oubliais, pour être complet, il me faut également prendre en considération le nombre de jours de maladie subis par ces 24 magistrats durant cette même période. Durant cette période nos collègues, en ce compris votre serviteur, ont totalisé 117 jours ouvrés de maladie, soit l’équivalent d’un temps plein qui je vous le rappelle est fixé à 112 jours ouvrés. Dès lors, cette charge de travail globale de la cour d’appel a dû être répartie non sur 30 mais sur 23 magistrats qui ont donc assumé une charge de travail équivalente à 146 jours ouvrés sur une période de 112 jours ouvrés, soit un surcroit de 30% par magistrat.
Que penser de pareils processus, imposés sans concertation ? S’agit-il là de la base élémentaire nous donnée par le pouvoir politique, puisque nous dépendons de lui, pour que nous puissions manager au mieux nos juridictions ? Comme le citoyen est en droit de l’attendre ?
Fort heureusement face à cette surcharge de travail la cour d’appel peut compter sur plusieurs magistrats retraités ainsi que sur les conseillers suppléants qui viennent bénévolement dépanner et permettre ainsi la tenue de précieuses audiences pour le citoyen.
Avec tout le respect que je porte au travail qu’ils réalisent avec brio, je ne vais pas ouvrir ici le débat sur le bénévolat au sein de l’action judiciaire dans un Etat de droit, mais il n’empêche que cela pose question. Il ne s’agit là que de la situation de la cour d’appel de Mons, juridiction que je connais, mais toutes les juridictions sont affectées de la sorte et se trouvent, excusez-moi l’expression, dans le même bain.
Bonne gouvernance
La « bonne gouvernance » impose de pareilles mesures entend-on du côté de certains dirigeants. Il est évident que l’institution judiciaire doit rendre des comptes quant à son mode de fonctionnement. Par contre, il ne faut pas qu’au nom d’une prétendue « bonne gouvernance » notre fonctionnement démocratique puisse être mené à mal. Pour rappel « la gouvernance couvre l’ensemble des actions par lesquelles individus et institutions, tant privées que publiques gèrent leurs affaires communes» (P. MOREAU DEFARGES « la Gouvernance », paris, PUF, Que sais-je ? , 2008 p.45-46.)
Je rappellerai la définition de la bonne gouvernance, trouvée dans un article du professeur Habib GHERARI, professeur à l’Université d’Aix-Marseille III., intitulé « Le respect de l’Etat de droit comme élément de la « bonne gouvernance » en droit international économique » qui relève que pour la Commission de la gouvernance globale (nations Unies) et la Banque mondiale (cette source sera de nature à rassurer les économistes): « la bonne gouvernance est un mode d’exercice du pouvoir pour gérer les ressources politiques, économiques et sociales d’un pays dans une perspective de développement » , qui « se caractérise par des politiques prévisibles, transparentes éclairée, par une fonction publique ayant le sens du devoir, par un pouvoir exécutif tenu de rendre des comptes, par une société civile dynamique participant aux affaires de l’Etat et par le fait que tous respectent la loi. »
Au nom de cette notion de « bonne gouvernance » ainsi consacrée dans l’Ordre juridique international, je ne doute pas un seul instant que la loi sur les cadres de nos juridictions sera respectée tant qu’elle n’aura pas été à tout le moins modifiée.
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