Chose promise, chose due. Mais que peut faire un débiteur si les circonstances changent et que ses obligations deviennent soudainement excessivement lourdes ? Avec l'introduction de l'article 5.74 du Code civil (ci-après : CC), le législateur a donné pour la première fois une base juridique générale à la notion de « changement de circonstances » ou à la théorie dite de l'imprévision.
Classiquement : rejet de la théorie de l’imprévision en Belgique
Dans divers pays européens (dont les Pays-Bas, l'Italie, la Grèce, le Portugal, l'Allemagne et la Suisse), la théorie de l'imprévision est acceptée depuis un certain temps, sur base de l'obligation d'exécuter les accords de bonne foi.
La Belgique s'est donc – avec la France – quelque peu isolée en rejetant théorie de l'imprévision.
En Belgique, la théorie de l'imprévision n'était classiquement pas acceptée dans l'ancien Code civil (ci-après : ACC), la jurisprudence et la doctrine juridique. Ceci au motif que la force obligatoire d’un contrat crée chez le créancier la confiance légitime qu'une fois cet accord conclu, le débiteur remplira également les obligations convenues (art. 1134, premier alinéa ACC).
Nouveau droit des obligations : base générale de l'article 5.74 du Code civil
Avec l'introduction de l'article 5.74 CC, le législateur a pour la première fois fourni une base juridique générale à la théorie de l’imprévision
L'article précité souligne avant tout que les conventions entre parties ont force de loi et que la doctrine de l’imprévision ne s'applique que dans des situations exceptionnelles. En principe, les parties doivent donc remplir leurs obligations, même si l'exécution est devenue plus difficile en raison d’un augmentation du coût de l'exécution ou d'une diminution de la valeur de la contrepartie.
Exceptionnellement, cependant, un débiteur peut demander à son créancier de renégocier le contrat, en vue d'une modification ou d'une résiliation. À cette fin, cinq conditions énumérées à l'article 5.74, paragraphe 2, du CC doivent être remplies. Toutefois, au cours de la renégociation et pendant toute phase judiciaire ultérieure, les parties doivent continuer à remplir leurs obligations.
Condition 1: Un changement de circonstances rendant l'exécution du contrat indûment/excessivement onéreuse
Premièrement, les circonstances après la conclusion du contrat doivent changer dans une mesure telle que l'exécution du contrat devient indûment onéreuse. La modification doit créer un tel déséquilibre entre les parties contractantes que l'exécution du contrat ne peut plus être raisonnablement exigée.
Une guerre, une crise financière ou une pandémie qui perturbe la relation économique normale peuvent certainement être qualifiées de circonstances excessivement aggravantes à cet égard.
Cette condition fait également la différence avec la force majeure. Pour qu'un débiteur soit libéré de ses obligations contractuelles pour cause de force majeure, il doit démontrer que l'exécution du contrat est devenue absolument impossible. Si le débiteur peut exécuter ses obligations d'une manière alternative (plus lourde), il ne peut invoquer la force majeure. Après tout, la mise en œuvre n'est pas devenue impossible. Le débiteur peut très bien compter sur la théorie de l’imprévision.
Condition 2 : Le changement était imprévisible à la conclusion du contrat
Deuxièmement, le changement de circonstances doit avoir été imprévisible au moment de la conclusion du contrat. Dans les relations B2C (Business to Consumer), le jurisprudence adoptera probablement une attitude plus indulgente envers les consommateurs, car les clauses contractuelles sont régulièrement imposées aux consommateurs. Pour les entreprises, l’exigence de cette seconde condition sera probablement plus stricte, car on attend d'elles qu'elles connaissent les risques liés à leur activité ou du moins qu'elles soient capables de mieux les évaluer que leur (plus faible) cocontractant.
Condition 3 : Le changement n’est pas imputable au débiteur
Troisièmement, le changement de circonstances peut ne pas être imputable au débiteur qui invoque la théorie de l’imprévision.
Condition 4 : Le débiteur n’a pas accepté ce risque
Quatrièmement, le débiteur ne doit pas avoir accepté le risque du changement en question. Les débiteurs peuvent accepter le risque à la fois explicitement (par exemple, renonciation) et implicitement (par exemple, découlant de la nature du contrat).
Condition 5 : Le recours à la théorie de l'imprévision n'est pas légalement ou contractuellement exclu
L'article 5.74 du CC est de droit supplétif, tant dans le principe que dans les modalités d'application (art. 5.74, alinéa 2, 5° du CC).
Ainsi, d'une part, des dispositions légales particulières peuvent y déroger, par exemple le correctif judiciaire en équité de l'article 1474/1 de l’ACC. D'autre part, les parties peuvent également adapter contractuellement ou même exclure le recours à la théorie de l’imprévision. Les parties peuvent décider entre elles si elles souhaitent l'utiliser plus facilement ou non.
Les parties peuvent également saisir le juge en référé. Le juge peut alors réformer le contrat ou le résilieren tout ou en partie. Si le juge réforme le contrat, le juge mettra le contrat en conformité avec ce dont les parties seraient raisonnablement convenues lors de la conclusion du contrat si elles avaient pris en compte le changement de circonstances (art. 5.74, quatrième alinéa du CC).
Contrairement à la force majeure, la théorie de l'imprévision vise en effet en premier lieu la poursuite du contrat.
Entrée en vigueur du nouveau « droits des obligations »
L'article 5.74 du CC est en vigueur depuis le 1er janvier 2023, six mois après sa publication au Moniteur belge. Le régime s'applique aux contrats conclus après cette date d'entrée en vigueur.
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