La directive « DAC 6 » du 25 mai 2018 a instauré une obligation de déclaration à charge des « intermédiaires », à propos des « dispositifs transfrontières agressifs » qu’ils conçoivent, conseillent, commercialisent ou contribuent à mettre en place. La Belgique a transposé cette directive DAC 6 par une loi du 20 décembre 2019[1].
Dans un récent arrêt du 29 juillet 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a conforté l’édifice de la directive DAC 6, en jugeant que l’obligation déclarative qu’elle prévoit ne violait ni le principe de sécurité juridique, ni le droit à la vie privée[2]. DAC 6 est donc plus que jamais d’actualité.
De nombreuses institutions financières et compagnies d’assurance sont fréquemment confrontées à la question de savoir si leurs produits doivent être ou non déclarés dans le cadre de DAC 6.
Il faut bien comprendre que tous les montages ou schémas de planification fiscale ne tombent pas dans le viseur de l’obligation déclarative, mais uniquement ceux qui comportent une dimension « transfrontalière » et qui présentent un potentiel d’« agressivité ». Prenons quelques exemples.
Contrats d’assurance-vie de la branche 23 souscrits auprès d’une compagnie d’assurance étrangère
A supposer que le dispositif revêtirait bien un caractère « transfrontière », pourraient tomber dans le viseur des marqueurs A3 et B2 certains contrats d’assurance-vie de la « branche 23 » souscrits par des particuliers belges auprès de compagnies d’assurance luxembourgeoises.
Le marqueur général A3 fait référence au caractère « normalisé » ou « standardisé » du dispositif, en ce sens que celui-ci pourrait être mis à la disposition de plusieurs contribuables sans qu’il soit besoin pour sa mise en œuvre d’en adapter la structure ou la documentation à leur situation propre (article 326/2, alinéa 4, C.I.R.).
Pourraient ainsi être visés les contrats d’assurance-vie qui sont proposés de façon assez systématique par des compagnies d’assurance luxembourgeoises à des clients belges, en général sans aucune adaptation spécifique à leur situation personnelle ou familiale, pour leur faire bénéficier du régime d’exonération à l’impôt des personnes physiques en Belgique des revenus des contrats d’assurance-vie (articles 19, § 1er, alinéa 1, 3°, C.I.R. et 21, 9°, C.I.R.)[3].
En revanche, si le contrat d’assurance fait l’objet de clauses particulières visant à tenir compte de la situation spécifique des parties, on peut alors raisonnablement douter du caractère « standardisé » de la documentation[4].
Le marqueur B2 est décrit comme suit par l’article 326/2, alinéa 5, C.I.R. : « un dispositif qui a pour effet de convertir des revenus en capital, en dons ou en d’autres catégories de recettes qui sont taxées à un niveau inférieur ou ne sont pas taxées ». Le libellé de la loi est assez large et est de nature à créer des inquiétudes dans le chef de nombreux « intermédiaires », notamment dans le secteur financier et des assurances.
Un résident belge peut avoir intérêt à investir des liquidités se trouvant sur un compte de dépôt (générant des intérêts imposables) pour souscrire à un contrat d’assurance-vie luxembourgeois de la branche 23. Il pourrait être soutenu qu’il s’agit là d’un dispositif ayant pour effet de « convertir » des revenus financiers imposables (c’est-à-dire les dividendes et les revenus d’intérêts, imposables au taux de 30 % dans les mains du particulier belge) en des revenus exonérés d’impôt (les plus-values de rachats de contrats d’assurance pouvant en effet être totalement exonérées en vertu de la législation fiscale belge) dans le chef du particulier belge[5].
Les marqueurs A3 et B2 sont tous les deux couplés au test de l’avantage principal (MBT). Par conséquent, même si l’un de ces marqueurs est rencontré, ce dispositif ne devra pas être déclaré si le test du MBT n’est pas satisfait.
Force est de reconnaître que la souscription d’un contrat d’assurance-vie de la branche 23 (lié à un fonds dédié) contient de nombreux avantages en termes de gestion et de planification du patrimoine. Si le contribuable est en mesure de démontrer que l’avantage fiscal est accessoire par rapport aux autres avantages, le critère de l’avantage principal ne devrait pas être satisfait, de sorte que le dispositif ne sera pas déclarable[6].
Produits financiers[7]
La plupart de la documentation et des structures utilisées pour les produits financiers et les transactions financières sont potentiellement visées par le marqueur A3. En effet, ce type de documentation ou de structure est dans la plupart des cas « standardisé ». Il est ainsi intéressant de noter pour le secteur des services financiers qu’un contrat-« cadre ISDA », fréquemment utilisé pour la vente de produits dérivés de gré à gré, n’est pas considéré comme de la documentation standardisée par l’administration fiscale britannique. En effet, selon le fisc britannique, bien qu’il s’agisse d’un type de contrat très répandu (et donc accessible à un grand nombre de contribuables), ces contrats sont sujets à des adaptations substantielles. Dès lors, malgré l’existence d’éléments standards dans ces contrats, l’administration fiscale britannique conclut que ces contrats ne sont pas visés par le marqueur A3[8]. A noter que même si le produit financier est visé par le marqueur A3, il ne deviendra déclarable que si le test du MBT est rempli.
Un grand nombre de transactions financières, impliquant la « conversion » d’un instrument financier par un autre instrument financier offrant un régime fiscal plus avantageux, pourraient être visées par le marqueur B2. Toutefois, ce propos pourrait être nuancé. En effet, selon l’administration fiscale britannique, le marqueur B2 ne s’applique pas lorsque le dispositif est justifié par des « besoins commerciaux légitimes » et ce, même si le dispositif a pour effet de convertir des revenus en des catégories de revenus moins taxés[9]. Certains auteurs en déduisent que les transactions « usuelles », comme celles qui impliquent des organismes de placement collectif produisant des avantages fiscaux légitimes, ne seraient pas visées par le marqueur B2[10]. D’ailleurs, dans la majorité des cas, les investisseurs feraient leurs choix d’investissement en fonction de leurs besoins d’épargne et pas selon le traitement fiscal de leurs investissements. À notre estime, si l’on ne peut exclure catégoriquement que des transactions financières relevant de la « routine » puissent être visées par le marqueur B2, pareilles transactions devraient plutôt pouvoir échapper à l’obligation déclarative grâce à l’application du critère de l’avantage principal (MBT), sur la base d’une analyse au cas par cas…
Il est frappant de constater que l’application potentielle de DAC 6 est parfois prise en compte par les institutions financières (banques, managers de fonds d’investissement,…) à un stade précoce, lors de la conception du produit financier[11]. Se posent alors notamment les questions suivantes :
- le produit financier en question est-il un dispositif déclarable (notamment au regard du marqueur A3 ou B2) ?
- le reporting des informations aux autorités fiscales sera-t-il facile à accomplir (lourdeur de la charge administrative,…) ?
- quelles seront les conséquences éventuelles en cas de transmission d’informations sur le produit financier en question (risque de discussion avec les autorités fiscales, voire de redressement)?
Les acteurs des secteurs financiers et des assurances n’ont décidément pas la vie facile. Cette directive DAC 6 vient faire peser une lourde responsabilité sur leurs épaules. Ce qui débouche sur des frais de compliance élevés… alors même qu’elles ne sont souvent pas à la source des dispositifs transfrontières potentiellement agressifs déclarables !
Denis-Emmanuel Philippe, Avocat au barreau de Bruxelles (Associé chez Bloom Law), Maître de conférences à l’ULiège
Cet article est une version abrégée de l'article “DAC 6 – application aux secteurs financiers et des assurances” du même auteur dans Revue Fiscalité des Placements. En savoir plus.
0 commentaires