Cela fait maintenant près de 50 ans que l’on parle d’un brevet unitaire pour l’Europe. Près de 50 ans que les Etats membres discutent et adoptent des Règlements en vue de sa mise sur pied mais alors que d’aucun n’y croyait plus, la dernière étape semble avoir été franchie par la création de la juridiction unifiée du brevet.
Mais de quoi s’agit-il finalement ?
Un bref rappel du système actuel des brevets s’impose
Le brevet est un droit de propriété intellectuel touchant une invention, qui peut être soit un produit, soit un procédé, applicable au domaine de l’industrie et de l’agriculture, et qui doit être caractérisé essentiellement par sa nouveauté et par son inventivité[1].
Le système des brevets est un droit dit territorial : on est protégé dans le (ou les) pays où on a déposé sa demande de brevet ou qui est (sont) visé(s) par celle-ci. Il s’agit soit un brevet national, soit un brevet dit « européen » ou encore international[2].
Pour ce qui concerne le brevet national, il est délivré par le SPF Economie, sans réel examen des conditions de brevetabilité et octroie une protection à son titulaire, uniquement sur le territoire de la Belgique.
Le brevet européen est, quant à lui, délivré par l’Office Européen des Brevets (OEB), par le biais d’une procédure centralisée, procédure de délivrance au cours de laquelle l’Office Européen, par ses examinateurs, vérifie les conditions de brevetabilité par rapport à l’état de la technique antérieure, entre autres.
Si l’invention franchit avec succès le cap de cet examen réalisé par les examinateurs de l’Office Européen des Brevets, le brevet, une fois délivré, sera en réalité constitué d’un faisceau de brevets nationaux visant les pays concernés par la demande[3].
Ce qui signifie donc que si la procédure pour l’obtention d’un brevet européen est unifiée, les effets du brevet délivré dépendent des différents droits nationaux des pays que le titulaire du brevet aura visé dans sa demande.
Prenons un exemple très concret
Un inventeur dépose une demande de brevet européen et dans sa demande, il vise la Belgique, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas.
Si le brevet franchit le cap de l’examen par l’OEB et qu’il est délivré à cet inventeur, celui-ci disposera d’un brevet dans les pays concernés, dont les effets seront dépendants des droits qui peuvent être différents dans chacun de ces pays.
Dès lors, si le brevet est attaqué en nullité par exemple en Allemagne, la validité et la procédure du brevet européen attaqué seront examinées, dans le pays concerné, selon le droit allemand. Les effets de la décision de justice ne porteront que dans ce pays. Donc si la procédure aboutit et que le brevet est annulé, ce ne sera, en quelque sorte, que la branche allemande du brevet qui sera annulée. Le brevet perdurera en Belgique, en France et aux Pays-Bas.
Quel changement avec le brevet dit Unitaire ?
Le brevet unitaire vient, comme son nom l’indique, unifier l’ensemble du système.
En effet, le brevet européen avec effet unitaire, comme on doit en réalité l’appeler ou, pour faire court, le brevet unitaire, a pour but d’unifier la procédure de demande d’un brevet (ce qui est déjà le cas avec le brevet européen) mais surtout d’unifier le sort du brevet une fois délivré.
En conséquence, la protection qui sera conférée à ce brevet sera uniforme, quels que soient les territoires visés par la demande.
Ce brevet européen avec effet unitaire couvrira 24 pays de l’Union européenne.
Subsisteront néanmoins aux côtés de ce système unifié, les systèmes actuels des brevets nationaux et du brevet européen « non unifié ».
Si ce système existe ’sur papier’ depuis de nombreuses années, certains règlements européens remontant à 2012 et 2013, et les premiers textes à son sujet remontent au siècle dernier, les Etats membres ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur la juridiction unifiée qui allait être compétente, tant pour les procédures relatives à la validité du brevet que pour les procédures de contrefaçon d’un brevet.
Cette juridiction unifiée est composée d’un Tribunal de Première Instance avec une division centrale et des divisions régionales et d’une Cour d’appel.
La division centrale du Tribunal de Première Instance siègera à Paris avec une section à Munich. Le siège de la Cour d’Appel a été fixé à Luxembourg. En février dernier, s’est tenue la première réunion du Comité administratif de la Cour d’appel. Au mois d’avril dernier, les Comités administratifs et budgétaires ont tenu leur première réunion et le recrutement des juges est en train de se réaliser.
Les premiers dossiers traités par cette juridiction sont prévus pour le dernier trimestre de 2022.
Diminution des coûts
La nouvelle procédure devrait également avoir comme avantage de diminuer sensiblement les coûts pour les demandes de brevet, notamment en termes de traduction qui représentent, à l’heure actuelle, une très grosse dépense pour les déposants dans le système de brevet européen.
Il sera également plus facile à gérer dans la mesure où une seule taxe de maintien annuelle sera en vigueur et devra être payée à l’Office Européen des Brevets alors qu’à l’heure actuelle, la taxe doit être payée dans les différents pays où le brevet européen a été validé.
A cet égard, il est annoncé que le coût de taxe annuelle pour le brevet dit unitaire sera inférieur à 5.000€, les PME bénéficiant par ailleurs de réductions supplémentaires ; ce coût annoncé de 5.000€ pour les 10 premières années de la vie du brevet unitaire, s’il est avéré, sera nettement moins élevé que les coûts actuels pour un brevet européen classique dans à peine quatre pays.
Si ces tarifs se confirment, ce système devra immanquablement favoriser la création des entreprises et plus uniquement les plus grosses d’entre elles, le coût rendant l’accès au brevet nettement plus abordable pour les PME. A l’inverse, le fait de devoir saisir des magistrats en dehors de ses frontières pour faire respecter ses droits (pour une action en contrefaçon par exemple), pourra constituer, pour certaines d’entre elles, un frein… L’avenir nous le dira !
Me Damien Dessard, avocat au Barreau de Liège-Huy
Références
[1] Pour ce qui concerne l’inventivité, il s’agit de l’appréciation de l’homme de l’art normalement diligent du secteur concerné pour lequel l’invention ne doit pas découler de manière évidente de l’état de la technique.
[2] Non examiné dans cette note.
[3] Une fois le brevet délivré, il fait l’objet d’une publication. Cette publication ouvre la possibilité, durant 9 mois, à toute personne intéressée, de former opposition contre ce brevet. Cette procédure se déroule devant l’OEB également.
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