23 May 2019 | Expertise, Nouveauté

Le déploiement des avocats en province dans les contextes politiques très fragiles: le cas de la République centrafricaine

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Opgelet: dit artikel werd gepubliceerd op 23/05/2019 en kan daardoor verouderde informatie bevatten.
Avocats Sans Frontières (ASF) est une ONG internationale spécialisée dans la défense des droits humains et le soutien à la justice (www.asf.be). Active en République centrafricaine depuis 2014, elle y promeut une approche holistique de l’accès à la justice en appuyant les acteurs de proximité de la justice (chefs de quartiers, coutumiers, religieux) et en renforçant les capacités des acteurs-clé de l’aide légale (barreau et organisations de la société civile).

Auteur: Bruno Langhendries coordonne le pôle Expertise et apprentissage au sein du bureau d’ASF à Bruxelles. Il est spécialisé en accès à la justice et en détention.

Il est couramment admis que l’avocat, en ce qu’il accompagne son client dans les arcanes de la justice, est un acteur-clé pour améliorer durablement l’accès à la justice. Dans certains pays, cette assertion est toutefois mise à mal, tant le contexte social, politique et économique est problématique et empêche une personne en quête de ses droits de se faire aider d’un avocat. Un exemple particulièrement frappant pour illustrer ce constat est celui de la République centrafricaine (RCA).

“Un seul avocat est établi dans une ville de province”

La profession d’avocat s’y exerce d’abord à Bangui, la capitale. Sur les 130 avocats que compte le pays, un seul est établi dans une ville de province, à l’Ouest, où l’on trouve les quelques préfectures pacifiées depuis la crise qui a ravagé la RCA entre 2013 et 2015. Les avocats basés dans la capitale ne se déplacent que rarement en province, et font des allers-retours ponctuels pour plaider de rares dossiers fixés devant les juridictions de pays.

Les avocats centrafricains sont donc peu nombreux et vivent essentiellement de dossiers plutôt lucratifs pris en charge à Bangui, et de l’assistance judiciaire des projets portés par les ONG internationales et financés par la coopération internationale. Ce faible nombre d’avocats en activité ne leur permet en tout cas pas de répondre aux importants besoins de justice de la population, qui touchent souvent aux violences basées sur le genre, au crime de sorcellerie, au droit familial et au droit foncier. Ce constat, cumulé à d’autres facteurs comme le faible déploiement des institutions de l’Etat, explique en partie pourquoi, dans l’arrière-pays, les conflits se résolvent auprès des administrations, des chefferies coutumières ou des organisations de la société civile.

“La plupart des personnes seraient demandeuses d’un accompagnement par un avocat”

Malgré cette faible présence des avocats, une étude publiée par Avocats Sans Frontière (ASF) en 2018 montre que ceux-ci jouissent d’une opinion favorable, alors même que très peu de Centrafricains ont pu avoir recours à leurs services. La plupart des personnes interrogées seraient demandeuses d’un appui ou d’un accompagnement par un avocat en vue d’assurer leur défense et se disent d’ailleurs prêtes à rémunérer les prestations juridiques.

Cependant, il existe un fossé important entre les avocats et les clients potentiels. Les premiers proposent des prestations assez onéreuses, calculées sur la base d’une grille de barèmes minimums imposés par le Barreau et largement au-dessus de la capacité financière de la plupart des Centrafricains. En pratique, leurs clients ne pouvant pas s’acquitter des honoraires demandés, les avocats sont souvent obligés de revoir leurs tarifs à la baisse. Les seconds considèrent l’avocat comme trop cher, voire absolument inabordable. Si les personnes interrogées se disent souvent prêtes à rémunérer leurs services (conseil, représentation en justice, médiation), elles ne peuvent généralement le faire, au maximum, qu’à concurrence du tiers des honoraires imposés par les barèmes officiels. Ce fossé renforce le sentiment général d’une profession figée dans une posture attentiste et peu entrepreneuriale.

La question de l’installation des avocats sur l’ensemble du territoire se pose donc avec acuité. Elle ne peut toutefois se faire de façon isolée et doit être pensée en complémentarité du déploiement du système de justice dans les coins plus reculés du pays. Dans cette perspective, ASF a recommandé au Barreau de Centrafrique, son partenaire depuis 2015, d’entreprendre plusieurs actions visant à augmenter le nombre d’avocats inscrits au Tableau, à développer la formation des jeunes avocats et à informer la société centrafricaine du rôle joué par les avocats et des services qu’ils sont en mesure de fournir.

“Des avocats au profil jeune et entrepreneurial pourraient développer une activité économique viable”

A court et à moyen terme, ASF a considéré que des perspectives d’installation d’avocats en nombre limité existent dans plusieurs villes de l’Ouest du pays. Dans ces zones plus ou moins stabilisées, le marché du droit, même s’il reste réduit, est globalement vierge. Des avocats, au profil jeune, entrepreneurial et avec une connaissance de ces zones, pourraient développer une activité économique viable, à condition de prendre en compte trois critères déterminants :

  1. Diversifier le champ de leurs activités et proposer, à côté des prestations juridiques « classiques », des services de médiation, voire d’enseignement ;
  2. Proposer des honoraires réalistes, compte tenu de la capacité financière de la clientèle ;
  3. S’intégrer dans la réalité sociétale locale et développer un réseau au sein du tissu sociétal, notamment auprès des acteurs administratifs et communautaires.

 

Bruno Langhendries

Contact: blanghendries@asf.be

Photos © ASF/B. Langhendries

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