Les alternatives à la donation d’actions nominatives par acte notarié font actuellement l’objet d’une grande attention. Depuis le 15 décembre 2020, les actes notariés passés à l’étranger et ayant pour objet une donation de biens mobiliers par un résident fiscal belge sont en effet obligatoirement enregistrables en Belgique. Par conséquent, de telles donations seront en principe toujours soumises aux droits de donation belges.
Cette importante nouveauté en fait réfléchir plus d’un. L’acte notarié et donc l’enregistrement en Belgique, sont-ils bien nécessaires pour effectuer une donation d’actions, ou y-a-t-il d’autres moyens de procéder ?
En droit belge, un acte de donation doit être passé devant un notaire. Une donation consentie par acte sous seing privé est nulle et non avenue. Cette nullité est même absolue du vivant du donateur, de sorte que toute personne intéressée peut l’invoquer. Après le décès du donateur, la nullité devient relative. Elle ne peut alors plus qu’être invoquée par les héritiers.
La nullité n’est toutefois pas automatique. Il faut que quelqu’un réussisse à l’invoquer. Autrement dit, une donation ne répondant pas à l’exigence d’un acte notarié est maintenue jusqu’à ce qu’elle soit déclarée nulle et non avenue.
Ceci n’est pas sans importance, d’autant plus qu’il ressort d’un arrêt récent de la Cour d’appel de Gand1 que l’administration fiscale flamande (« Vlabel ») a tenté de faire invalider une donation sous seing privé afin de pouvoir considérer les biens donnés comme faisant encore partie de la succession du donateur et de pouvoir les imposer en droits de succession. La Cour n’a pas suivi l’administration fiscale, se basant pour ce faire sur la théorie de la nullité relative. Selon celle-ci, le droit d’invoquer la nullité n’appartient qu’à la personne dans l’intérêt de laquelle la règle de droit violée a été conçue. En outre, Vlabel est allé à l’encontre de la position traditionnellement adoptée par l’Administration fiscale fédérale, selon laquelle cette dernière n’est pas un juge habilité à se prononcer sur la validité des actes et des conventions, de sorte qu’en principe, un acte de donation non valable peut être soumis aux droits de donation.
Alors, où en sommes-nous maintenant ?
Il ne fait pas de doute que l’importance des régimes de faveur régionaux pour les donations notariées d’actions de sociétés familiales va augmenter. La donation d’actions de sociétés familiales bénéficie d’une exonération de droits de donations quand l’acte de donation doit être enregistré dans la Région flamande ou celle de Bruxelles-Capitale. Les donations enregistrées en Région wallonne profitent d’un taux réduit de 0%. Que se passe-t-il cependant en ce qui concerne les sociétés qui ne tombent pas sous le champ d’application de ces régimes de faveur, étant donné étant les conditions d’application strictes de ces derniers ? Pour ces sociétés, les formes alternatives de donation, n’étant pas soumises à l’obligation d’enregistrement, restent importantes.
Les actions nominatives peuvent-elles être données indirectement, sans acte notarié, par une inscription au registre des actionnaires ? Un arrêt récent de la Cour d’appel d’Anvers2 semble indiquer que oui. La cour a décidé que l’inscription d’un transfert d’actions dans ce registre peut, en soi, constituer une donation indirecte juridiquement valable, et a même affirmé qu’une donation d’actions peut être consentie valablement par simple consentement (solo consensu) entre donateur et donataire. Un précédent important en ces temps de glissements de terrain dans notre droit civil ancestral ?
Cependant, en se basant sur le nouveau Code des Sociétés et des Associations (« CSA »), l’on pourrait faire valoir qu’une inscription au registre des actionnaires ne peut pas entraîner une donation valable d’actions nominatives, puisqu’une inscription au registre en tant que telle n’a en principe pas d’effet translatif de propriété. Bien que l’arrêt susmentionné date d’avant l’entrée en vigueur du nouveau CSA et qu’il doit être lu avec la prudence nécessaire, il fournit néanmoins des arguments à ceux qui souhaiteraient résister dans une certaine mesure à l’enregistrement obligatoire des actes de donations.
Ne serait-il pas intéressant de réexaminer la piste de la dématérialisation d’actions nominatives et de leur donation indirecte par virement d’un compte-titres à un autre, pratique bancaire courante ? Ou encore, les techniques émanant du droit des sociétés, telles que l’émission inégale d’actions, pourraient-elles convenir à un père-actionnaire souhaitant faire une donation à ses enfants-actionnaires ? Ceci pourrait également constituer un don indirect juridiquement valable.
Il conviendra toutefois de toujours vérifier si le souhait souvent exprimé par le donateur de conserver le contrôle et les revenus des actions données peut être garanti par ces techniques alternatives. Par ailleurs, est-il possible de planifier sur plusieurs générations par de donations dites résiduaires (fideïcommis de residuo) ? Une donation avec réserve d’usufruit ne va pas de soi non plus. Dans quel document les parties à la donation confirmeront-elles la charge convenue de payer une rente et l’interdiction d’apport des biens donnés à une communauté matrimoniale ?
L’acte de donation notarié reste un bon instrument pour déterminer les conditions et les modalités souhaitées. En outre, une donation résiduaire ou fideïcommis de residuo ne peut être incluse que dans un acte notarié que parce qu’il s’agit là d’une donation directe du donateur au donateur appelé. Cette sécurité juridique vaut peut-être le paiement de droits de donations3, et ce tant sur la donation principale que sur les biens subsistants au décès du premier donataire.
Un certain nombre d’alternatives à la donation d’actions nominatives font surface et leur faisabilité juridique mérite un examen attentif. L’introduction de l’enregistrement obligatoire de donations notariées (mobilières) étrangères nous donne l’occasion de passer à la loupe certaines techniques de donation moins connues et d’examiner attentivement si la stipulation des conditions et modalités souhaitées peut être réalisée de manière juridiquement valable. Dans le cas contraire, l’acte de donation notarié continuera de s’avérer un bon support pour les donations sur mesure.
Nous nous ferons un plaisir de peser le pour et le contre avec vous.
TIBERGHIEN
Griet Vanden Abeele – Associé
Alain Van Geel – Associé
Dominique De Bie – Counsel
Olivia Herbert – Associate
Gilles Van Eyken – Associate
1 Gand, 15 décembre 2020, 2019/ AR/1907, non publié.
2 Anvers, 12 juin 2019, NFM 2020, ed. 5, 126 et T. Not. 2019, ed. 9, 778 e.s.
3 Le taux de donations en ligne directe est de 3 % en Flandre et en Région de Bruxelles-Capitale et de 3,3 % en Région wallonne.
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