Juste avant les vacances d’été, le législateur et le gouvernement ont été très actifs en termes de modification de la législation TVA et ses arrêtés d’exécution. Cela concerne toute une série de sujets, en plus des différents changements profonds qui sont déjà entrés en vigueur suite aux nouvelles règles sur le commerce électronique au niveau de l’UE (cliquez ici pour notre dernière newsletter sur ce sujet). Au jour où cette newsletter est écrite, certains de ces changements doivent encore être publiés au Moniteur belge. Nous vous résumons ci-dessous brièvement les changements les plus pertinents et leur impact en pratique.
Ajustement de l’exonération de TVA pour les groupements autonomes de personnes
La loi du 27 juin 2021 portant des dispositions diverses en matière de TVA (cliquez ici) apporte un certain nombre de modifications techniques au Code de la TVA.
Le changement le plus frappant concerne la modification/limitation de l’exemption de la TVA pour les groupements autonomes de personnes (article 44, §2bis du Code de la TVA). L’application de cette exonération sera limitée aux membres du groupement qui réalisent des opérations exonérées sur la base de l’article 44, §1 et 2 du Code de la TVA, dites exonérations d’intérêt général. Par conséquent, l’exemption des groupements autonomes de personnes ne s’applique plus aux membres qui réalisent des opérations exemptées sur la base de l’article 44, § 3 du Code de la TVA. Ce dernier paragraphe concerne notamment les opérations relatives à des biens immobiliers (ventes, locations) et les services financiers (institutions financières, assureurs, etc.).
La limitation de l’exemption pour les groupements autonomes de personnes fait suite à la jurisprudence européenne, qui oblige les États membres à n’accorder l’exemption que pour les activités exercées dans l’intérêt général (services médicaux, activités à caractère social telles que les installations sportives, l’éducation, les musées, les activités culturelles, …). Vous trouverez de plus amples informations dans notre précédente newsletter sur ce sujet (cliquez ici).
Il s’agit d’un changement important pour le secteur immobilier et financier, mais, étant donné l’alternative de l’unité TVA, son impact devrait être plutôt limité. Dans les situations où une unité de TVA n’est pas possible ou opportune, ce changement aura évidemment des conséquences importantes. Nous pensons en particulier au partage transfrontalier des coûts ou au partage des coûts au sein de groupes immobiliers où une unité de TVA n’est pas optimale (par exemple dans le cadre de ventes fractionnées de terrains et de bâtiments).
Cette modification législative n’entrera en vigueur que le 1er janvier 2022. Elle sera toutefois immédiate avec effet au 1er juillet 2021 pour les groupements autonomes nouvellement constitués et aux nouveaux membres qui souhaitent adhérer à un groupement autonome de partage des coûts existant.
Adaptation de l’exemption de TVA pour les services médicaux
La loi du 11 juillet 2021 apporte une modification importante à l’exonération de TVA sur les services médicaux (cliquez ici). C’est le résultat de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, rendue après question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, qui a considéré que la disposition d’exemption actuelle était contraire aux règles européennes (arrêt n° 194/2019 du 5 décembre 2019, cliquez ici).
Tout d’abord, l’exemption de TVA pour les services médicaux sera étendue notamment aux praticiens de la chiropractie et de l’ostéopathie. D’une manière générale, l’exemption n’est plus exclusivement réservée aux praticiens des professions médicales ou paramédicales réglementées. Les praticiens des professions (para)médicales dont on peut considérer qu’ils atteignent un niveau de qualité équivalent grâce à une formation adéquate pourront également se prévaloir de l’exemption.
Les professions médicales ou paramédicales non réglementées peuvent bénéficier de l’exemption de la TVA dans les conditions suivantes :
- Ils doivent être titulaires d’un certificat délivré par une institution reconnue par une autorité compétente ;
- L’administration reconnaît sur la base de ce certificat que le niveau de qualité est suffisamment élevé.
Bien qu’il reste à voir comment tout cela sera mis en pratique, la situation actuelle incertaine des ostéopathes et des chiropracteurs en matière de TVA devrait être définitivement résolue en Belgique.
En outre, un changement important intervient par rapport au champ d’application matériel de l’exemption de la TVA pour les services médicaux. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle et de la Cour de Justice de l’Union européenne, il est désormais explicitement stipulé que l’exemption de la TVA pour les services médicaux ne peut s’appliquer qu’aux services ayant un but thérapeutique. Alors que dans le passé, les services de nature esthétique étaient explicitement exclus de l’exemption, cela s’appliquera désormais aussi à tous les services des professions (para)médicales et des hôpitaux qui n’ont pas de but thérapeutique en soi.
Dans ce contexte, le lien avec l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités pour l’application de l’exemption de la TVA est complètement rompu. La finalité thérapeutique du service est nécessaire mais suffisante pour l’application de l’exemption. En revanche, la simple inscription d’un service dans la nomenclature INAMI n’est plus déterminante pour l’application de l’exemption de TVA.
Par conséquent, il ne suffira plus, pour l’application de l’exemption de la TVA, qu’une certaine opération fasse partie de la pratique professionnelle “normale” du prestataire de soins (para)médicaux ou de l’hôpital. Il faudra déterminer à chaque fois si un certain service est de nature thérapeutique ou non.
Les services sans caractère thérapeutique et la livraison de biens peuvent encore bénéficier de l’exemption de la TVA dans la mesure où ils sont liés à un service principal à caractère thérapeutique. La modification de la loi prévoit également des règles plus strictes dans ce domaine, avec une double condition : (i) ces services doivent être indispensables à la prestation de services de nature thérapeutique et (ii) ces services ne peuvent pas entrer en concurrence avec les opérations des entreprises commerciales.
L’exposé des motifs donne les exemples suivants de services soumis et non exemptés à la TVA : l’établissement d’un rapport d’expertise médicale, la délivrance de certificats médicaux à des fins administratives, le transport d’organes et d’échantillons humains, la mise à disposition d’un téléviseur ou d’un téléphone dans un hôpital, la vente de boissons, la mise à disposition de places de parking et les services de coiffure ou de manucure.
Dans la pratique, cela peut avoir/aura pour conséquence que de nombreux prestataires de soins (para)médicaux seront soumis à une TVA mixte, avec l’obligation de s’enregistrer à la TVA et de soumettre des déclarations de TVA. Il s’agit également d’un changement important pour les hôpitaux. Alors que dans le passé, une politique de tolérance s’appliquait dans le domaine de la TVA (pour un aperçu, voir “Commentaire de la TVA, Livre II, chapitre 9, section 6. Les prestations des établissements de soins”, cliquez ici), les hôpitaux seront à notre sens tenus de facturer la TVA sur un nombre beaucoup plus important de services. Dans ce contexte, l’impact concret sur les règlements dans le cadre d’accords de coopération (associations et autres) entre hôpitaux devra être soigneusement examiné. Nous comprenons que les explications administratives actuelles devront également être ajustées par rapport à cette question.
Compte tenu de l’impact majeur de cette modification législative, l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions sera reportée au 1er janvier 2022. Entre-temps, l’intention est de clarifier l’impact des nouvelles règles en termes concrets dans des directives administratives. Nous comprenons qu’à cette fin, des consultations seront organisées avec les professions concernées, ce qui indique également qu’une liste détaillée des services pouvant ou non bénéficier de l’exemption de TVA sera établie. Bien entendu, compte tenu du cadre juridique strict qui est en train d’être créé, et au vu de la jurisprudence européenne et belge claire, nous nous demandons s’il y aura une grande marge de manœuvre pour négocier des dérogations spéciales.
Pas de TVA sur la location de kots d’étudiants
Le Conseil des ministres a approuvé un projet de loi qui prévoit, entre autres, que la location de résidences universitaires est obligatoirement qualifiée de location immobilière exemptée de TVA. Il s’agit d’une réaction à une position prise par le Service des décisions anticipées qui acceptait que, sous certaines conditions, ces locations puissent être qualifiées de prestations hôtelières exonérées de TVA (voir notamment la décision anticipée n° 2020.1867, 6 octobre 2020 ; cliquez ici).
L’application de la TVA aux services hôteliers sera désormais explicitement exclue pour les établissements “fournissant normalement un logement aux étudiants”.
Nous nous interrogeons fortement sur la conformité de cet amendement législatif avec les règles et la jurisprudence européennes concernant l’interprétation du concept de “services hôteliers”. Une exclusion explicite des kots d’étudiants n’est pas prévue dans les dispositions européennes. Dans la mesure où il ressort des faits que la location est de courte durée et qu’elle s’accompagne de suffisamment de prestations complémentaires pertinentes, elle devrait, à notre sens, certainement être qualifiée de prestation hôtelière taxable à la TVA, indépendamment du fait que la chambre en question soit utilisée par un étudiant.
En outre, nous identifions des points de discussions possibles sur la définition du “logement habituel”. Qu’en est-il des bâtiments à usage mixte, par exemple non seulement pour les étudiants mais aussi pour des tiers tels que des professeurs étrangers invités ?
L’intention actuelle est que cette nouvelle disposition entre en vigueur le 1er octobre 2021. Cela pose également la question de savoir comment cela sera appliqué aux projets de logements pour étudiants qui sont actuellement exploités avec l’application de la TVA, sur la base ou non d’une décision préalable. En principe, la nouvelle disposition devra modifier le régime de TVA, ce qui entraînera un ajustement négatif de la TVA de la part du propriétaire/exploitant.
Il nous semble que le dernier mot n’a pas encore été dit sur cette nouvelle disposition.
Divers amendements
Enfin, une série de modifications techniques du code de la TVA et des changements dans le domaine des obligations en matière de TVA sont prévus. Nous énumérons ci-dessous les changements les plus marquants :
- A partir du 12 juillet 2021, la déclaration de début, de modification ou de cessation d’activité TVA doit être faite par voie électronique (cliquez ici).
- La notification pour l’application de la déduction de la TVA sur base de l’affectation réelle en cas d’assujettissement mixte à la TVA devra être faite par voie électronique, via le portail MyMinfin. Il ne sera plus nécessaire d’attendre une réponse positive de l’administration de la TVA à cette demande. Après notification, la règle de l’affectation réelle peut être utilisée immédiatement, sous réserve de vérification par l’administration de la TVA. Cette obligation entrera en vigueur le 1er janvier 2022. Les assujettis mixtes redevables de la TVA qui appliquent actuellement la règle de l’affectation réelle doivent également se conformer à cette obligation au plus tard le 31 décembre 2021.
- A partir du 1er janvier 2022, le régime forfaitaire de perception de la TVA sera supprimé pour les assujettis qui commencent leurs activités à partir de cette date. Pour les contribuables qui appliquent déjà le régime forfaitaire, celui-ci sera définitivement supprimé le 1er janvier 2028.
- Ajustement des règles de remboursement de la TVA pour les assujettis qui déposent des déclarations de TVA spéciales et pour les entreprises non européennes qui demandent un remboursement au titre de la 13e directive. Pour cette dernière catégorie, l’objectif est d’aligner les règles sur la procédure de remboursement de l’UE. Un amendement à l’AR n° 56 est prévu à cet égard.
La question est de savoir si l’arrêt de la Cour de cassation du 25 juin 2021 (cliquez ici) sera pris en compte lors de la modification de l’AR n° 56. Sur la base de cette jurisprudence, une demande d’une entreprise non européenne basée sur la 13e directive peut être introduite jusqu’à la 3e année suivant l’année au cours de laquelle la TVA est devenue exigible. En revanche, la demande d’une entreprise européenne doit être présentée avant le 30 septembre suivant l’année au cours de laquelle la TVA est devenue exigible.
- Prolongation d’un certain nombre de mesures COVID : réduction des pénalités de retard pour le paiement de la TVA (de 15% à 10%, cliquez ici), réduction du taux d’intérêt (de 9,6% à 4% par an) et application du taux de 6% pour les masques buccaux et les gels pour les mains (cliquez ici) jusqu’au 30 septembre 2021.
L’impact concret de tous ces changements reste à voir. Si vous avez des questions sur les conséquences possibles, n’hésitez pas à contacter l’équipe TVA de Tiberghien.
Stijn Vastmans et Gert Vranckx, Tiberghien
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