Dans son arrêt du 2 mars 2023, la Cour de justice a clarifié que le Règlement général sur la protection des données (RGPD) s'applique également aux procédures civiles. Cela signifie que les juges nationaux doivent tenir compte des dispositions du RGPD lorsqu'ils examinent des demandes visant à produire des preuves contenant des données personnelles. Dans quelle mesure le RGPD peut-il être invoqué comme argument pour exclure certains éléments de preuve défavorables de la procédure ?
Les faits
Un maître d'ouvrage suédois d'un immeuble de bureaux contestait les heures facturées par l’entrepreneur pour son personnel, affirmant que les heures réellement travaillées étaient bien inférieures à celles facturées. Pour étayer cette affirmation, le maître d'ouvrage a demandé au juge, dans le cadre de la procédure, de transmettre le registre du personnel de l’entrepreneur. Ce que l’entrepreneur a refusé, invoquant les dispositions du RGPD. La Cour suprême de Suède a alors soumis deux questions préjudicielles à la Cour de justice.
Évaluation de la Cour
La Cour a constaté que le traitement des données personnelles par le pouvoir judiciaire relève du champ d’application matériel du RGPD. L'obligation de produire des preuves contenant des données personnelles peut donc être considérée comme un traitement au sens du RGPD.
Conformément à l'article 6 du RGPD, tout traitement de données personnelles doit reposer sur une base légale, qui peut, selon la Cour, être une disposition du droit procédural national. L'une de ces bases légales est que le traitement est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou à l’exercice de l’autorité publique confiée au responsable du traitement. Selon la Cour, le pouvoir judiciaire peut donc être qualifié à juste titre de « mission d'intérêt public » et est habilité, dans certaines circonstances, à traiter des données personnelles sans le consentement préalable des personnes concernées.
Le juge national devra, au cas par cas, déterminer s’il est opportun que certains documents contenant des données personnelles soient communiqués. Il devra effectuer une mise en balance des intérêts entre, d’une part, la protection des données personnelles et, d’autre part, le droit d’une partie à accéder aux preuves pour étayer ses prétentions.
Le principe de proportionnalité et celui de minimisation des données doivent guider le juge dans cette mise en balance. Si d’autres preuves moins intrusives pour la vie privée peuvent être fournies ou si certains noms peuvent être anonymisés tout en atteignant l’objectif visé, cette option doit être privilégiée. Le juge est tenu, dans la mesure du possible, d’utiliser des moyens moins intrusifs, tels que :
- La présentation de preuves alternatives contenant moins de données personnelles ;
- L’anonymisation des personnes concernées ;
- La limitation de l'accès à certaines données personnelles au public.
Conclusion
Depuis l'entrée en vigueur du nouveau droit de la preuve en Belgique le 1er novembre 2020, les parties sont légalement tenues de collaborer à l'administration de la preuve. Cela peut engendrer des complications dans des situations où des données personnelles sont demandées. Toutefois, le RGPD oblige les juges à faire preuve de retenue, ce qui soulève la question de savoir si la recherche de la vérité est limitée par le RGPD. Le juge doit gérer ce conflit avec soin et rechercher en permanence une solution équilibrée.
Avec cet arrêt, la Cour de justice souligne que le RGPD ne peut pas être ignoré, même dans les procédures civiles. Bien que le droit à la protection des données personnelles doive être garanti, cela ne doit pas automatiquement conduire à l’exclusion de preuves contenant des données personnelles. Cela pourrait inutilement entraver la recherche de la vérité. Le juge doit toujours examiner si des mesures moins intrusives sont possibles, telles que des témoignages, l'anonymisation des données personnelles ou la restriction de l'accès public à certaines informations.
En tant qu’avocats, nous sommes critiques à l’égard de l’utilisation du RGPD comme argument ou excuse pour dissimuler des preuves accablantes. La transparence et une procédure équitable exigent que tous les faits pertinents soient pris en considération. Le refus de fournir des preuves ne devrait donc être acceptable que dans des situations exceptionnelles. Notre préférence va à la transparence et à la recherche de la vérité, tout en respectant, dans la mesure du possible, la protection de la vie privée.
Si vous avez des questions après avoir lu cet article, n’hésitez pas à nous contacter.
0 commentaires