Le législateur a adopté début février le projet de loi contenant le Livre 6 du Code civil : "Responsabilité extracontractuelle". L'introduction du livre 6 a suscité assez bien d’agitation, principalement parce que "la quasi-immunité de l'agent d'exécution" est sur la sellette. Nos explications ci-dessous sont donc assez techniques, mais très importantes pour la pratique quotidienne.
Les anciennes règles : doctrine de la quasi-immunité de l'agent d'exécution
La doctrine de la quasi-immunité, telle qu'elle existe encore aujourd'hui, garantit qu'en principe, les agents d'exécution ou les auxiliaires ne peuvent être tenus directement responsables par les créanciers de leur mandant.
Un auxiliaire est une personne chargée par un débiteur de l'exécution effective des obligations contractuelles de ce dernier. Il s'agit donc d'une notion très large. Il peut s'agir de salariés, de représentants, de sous-traitants, d'administrateurs de sociétés, …
Un exemple
- L'entreprise A souhaite expédier une machine à l'étranger et fait appel à un armateur. Ce dernier missionne à son tour un sous-traitant pour charger la machine sur le navire. La machine tombe malencontreusement à la mer, ce qui entraîne une perte totale.
- L'entreprise A peut être en mesure de poursuivre l’armateur en vertu de sa relation contractuelle pour mauvaise exécution du contrat. La question est de savoir si cette même entreprise A peut également poursuivre le sous-traitant en raison de négligence de sa part. Cette réclamation sera nécessairement non contractuelle, puisqu'il n'y a pas de contrat direct entre l'entreprise et le sous-traitant.
- Sous l'ancien régime, l'entreprise A ne pouvait pas se retourner directement contre le sous-traitant, en vertu d’une décision de la Cour de Cassation en 1973. Le sous-traitant était à l'abri de la réclamation de l’entreprise malheureusement lésée.
- Cette question prend toute sa pertinence s'il existe des raisons qui justifient que l'entreprise A ne puisse pas poursuivre l’armateur, par exemple parce que certaines limitations de dommages figurent dans le contrat ou si l’armateur a déposé le bilan entre-temps ou n'est pas solvable.
La doctrine de la quasi-immunité joue également aujourd'hui dans le cas de la responsabilité des administrateurs. Par exemple, si un tiers conclut un contrat avec une société et subit un préjudice dans l'exécution de ce contrat, il ne pourra en principe pas engager la responsabilité personnelle de l'administrateur de la société.
Toutefois certaines exceptions s’appliquent sur cette quasi-immunité. En pratique, soulignons principalement qu'une action en responsabilité est toujours possible en cas d’infraction.
Nouvelles règles : Fin de l’interdiction de concours et de l’immunité
Concrètement, qu'est-ce qui va changer ? Le principe de l'interdiction de concours passe à la trappe. Désormais, une partie lésée pourra également poursuivre l'auxiliaire, même si le dommage résulte clairement d'une mauvaise exécution du contrat. Les administrateurs, les sous-traitants, les représentants et parfois même les salariés seront donc directement dans le collimateur du créancier qui pourra les poursuivre, par exemple sur la base de violations de la norme générale de diligence ou de certaines lois spécifiques.
Maintien contractuel du concours avec clauses d'exonération
La bonne nouvelle est que le législateur a prévu la possibilité de garder contractuellement l’interdiction de concours et l’immunité comme c’était précédemment la norme.
Il ne fait aucun doute qu'une interdiction contractuelle de concours est possible dans le contrat principal entre les parties contractantes effectives. En outre, la partie auxiliaire peut également invoquer les exclusions qu'elle a négociées avec son mandant lorsqu'elle est poursuivie par le créancier lésé. Toutefois, le débat fait encore rage pour savoir si c’est concluant à 100 %.
Revenons un instant sur l'exemple de l’armateur. En tout état de cause, le sous-traitant peut invoquer les clauses limitatives de responsabilité qui figurent dans le contrat entre l'entreprise A et l’armateur. En outre, notre sous-traitant pourra également invoquer les clauses de son propre contrat avec l’armateur à l'encontre de l'entreprise A.
Le législateur ajoute une autre réserve. En effet, si le créancier a subi un dommage physique ou psychique, l’administrateur /agent d’exécution ne peut pas invoquer ces défenses contractuelles. Il en va de même lorsque ce dernier a commis une faute intentionnelle.
Mais qu'en est-il de notre administrateur de société? Il pourra de toute façon invoquer une éventuelle clause de l'accord principal conclu entre la société et le créancier lésé. Toutefois, il sera moins évident d'utiliser les moyens de défense prévus dans son propre contrat d'administrateur lorsqu'il est directement poursuivi. En effet, le code des sociétés et associations limite considérablement les possibilités d'exonération des administrateurs. Les assurances en responsabilité des administrateurs sont donc clairement plus importantes que jamais.
Ce qui était auparavant la règle doit désormais être contractualisé par les parties. L'importance des accords (bien rédigés) se voit considérablement accrue par ce règlement.
Entrée en vigueur
Les nouvelles règles devraient entrer en vigueur le 1er janvier 2025, six mois après leur publication au Moniteur belge. Dans le cadre du régime transitoire actuel, les nouvelles règles s'appliquent aux faits susceptibles d'engager la responsabilité à partir de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Ce principe s'applique donc également aux situations où les contrats ont été conclus avant l'entrée en vigueur, mais où la créance est née après l'entrée en vigueur des nouvelles règles. Dans de nombreux cas, les contrats existants n'offrent donc pas d'échappatoire. En effet, il n'y avait aucune raison de réglementer ce point sous l'ancienne loi.
La disposition transitoire est, à juste titre, vivement critiquée. Il faut espérer que le législateur s'en rendra compte et que le règlement sera corrigé avant son entrée en vigueur.
Conclusion
La nécessité d'examiner attentivement le régime de responsabilité pour les nouveaux contrats est désormais évidente. Toutefois, avec le régime transitoire tel qu'il est actuellement envisagé, les contrats existants doivent eux aussi être passés au crible.
Wannes Gardin et Simon Boon – Vandelanotte
0 commentaires