Le nouvel article 505 du code pénal : élargissement du champ d’application pour les tiers cover

29 Feb 2024 | Criminal Law

Le nouvel article 505 du code pénal : élargissement du champ d’application pour les tiers

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Le délit de blanchiment a été introduit dans le code pénal belge à l’article 505 par la loi du 17 juillet 1990. Il a été modifié ultérieurement à plusieurs reprises par les lois du 7 avril 1995[1], du 10 mai 2007[2]et du 15 juillet 2013[3].

L’article 505 du code pénal contient le régime répressif du blanchiment, qui doit être distingué du régime préventif, inscrit dans la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces.

L’infraction de blanchiment suppose la réunion des éléments constitutifs suivants : une infraction de base, un élément matériel et un élément moral.

Le blanchiment suppose la commission en amont d’une infraction primaire, une infraction de base, qui génère des avantages patrimoniaux illicites.

Toutes les infractions visées tant au code pénal que dans des lois particulières peuvent être constitutives d’un délit de blanchiment, qu’il s’agisse d’un crime, délit ou d’une contravention.

Pour satisfaire à la notion d’avantage patrimoniale, il faut cependant qu’il s’agisse d’un bien ou d’une valeur qui présente une valeur économique. Le simple fait pour un contribuable de dissimuler frauduleusement l’existence d’un compte étranger aux autorités fiscales n’implique pas que ce compte ou le solde de celui-ci constitue un avantage patrimonial résultant de cette dissimulation et puisse donc faire l’objet d’une infraction de blanchiment de capitaux[4].

Le blanchisseur peut être poursuivi en l’absence de toute condamnation ou poursuite du chef de l’infraction primaire car la Cour de cassation n’exige pas de description précise de l’infraction à l’aide de laquelle les avantages patrimoniaux ont été obtenus[5].

Le ministère public ne doit pas rapporter la preuve du caractère délictueux de l’infraction à l’origine des fonds faisant l’objet du délit de blanchiment.

En ce qui concerne l’élément matériel du blanchiment, trois comportements sont incriminés par l’article 505 du code pénal.

Le premier comportement incriminé est visé à l’article 505, al. 1er, 2°, du code pénal, qui dispose que :

« Ceux qui auront acheté, reçu en échange ou à titre gratuit, possédé, gardé ou géré des choses visées à l’article 42, 3°, alors qu’ils connaissaient ou devaient connaître l’origine de ces choses au début de ces opérations ».

On vise notamment dans ce comportement, la donation, l’acceptation de succession, les opérations de dépôt ou de transfert.

Le second comportement incriminé est visé à l’article 505, al. 1er, 3°, du code pénal, qui dispose que :

« Ceux qui auront converti ou transféré des choses visées à l’article 42, 3°, dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la réalisation de l’infraction d’où proviennent ces choses, à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ».

Sont notamment visés en l’espèce, le change de devises, le transfert d’avantages patrimoniaux ou une donation.

Le troisième délit de blanchiment est visé à l’article 505, al. 1er, 4°, du code pénal, qui dispose que :

« Ceux qui auront dissimulé ou déguisé la nature, l’origine, l’emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété des choses visées à l’article 42, 3°, alors qu’ils connaissaient ou devaient connaître l’origine de ces choses au début de ces opérations ».

On vise notamment en l’espèce la confection de faux en écritures, l’usage de ces faux, l’utilisation de prête-noms, d’hommes de paille, de sociétés-écrans ou le recours à des sociétés ou institutions financières situées dans des pays ou territoires dont la législation ou les pratiques facilitent l’opacité.

L’élément moral de l’infraction de blanchiment varie selon l’acte envisagé.

En ce qui concerne les actes prévus aux articles 505, al. 1er, 2° et 4° du code pénal, le texte exige un dol spécial : la connaissance de l’origine illicite des profits est nécessaire mais suffisante pour justifier une condamnation du chef de blanchiment.

En ce qui concerne les actes prévus à l’article 505, al. 1er, 3°, du code pénal, il faudra d’une part que la connaissance de l’origine illicite des biens soit établie et, d’autre part, il faudra démontrer que la conversion ou le transfert des choses illicites a été réalisé dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la réalisation de l’infraction d’où proviennent ces choses, à échapper aux conséquences juridiques de ses actes.

Les paragraphes 3 et 4 de l’article 505 du code pénal organisent un régime spécifique lorsque l’infraction primaire consiste en une infraction fiscale.

Les §§ 3 et 4 de l’article 505 du code pénal disposent en effet que :

« Sauf à l’égard de l’auteur, du coauteur ou du complice de l’infraction d’où proviennent les choses visées à l’article 42, 3°, les infractions visées à l’alinéa 1er, 2° et 4°, ont trait exclusivement, en matière fiscale, à des faits commis dans le cadre de la fraude fiscale grave, organisé ou non.

Les organismes et les personnes visés aux articles 2, 2bis et 2ter de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, peuvent se prévaloir de l’alinéa précédent dans la mesure où, à l’égard des faits y visés, ils se sont conformés à l’obligation prévue à l’article 28 de la loi du 11 janvier 1993 qui règle les modalités de la communication d’informations à la Cellule de Traitement des Informations Financières ».

Si le blanchiment est le fait de l’auteur, du co-auteur ou du complice de la fraude fiscale, il pourra donc être poursuivi du chef du 3°de l’alinéa 1 de l’article 505 du code pénal, que la fraude fiscale soit simple ou grave. Par contre, si le blanchiment est le fait d’un tiers, telle qu’une institution bancaire, l’infraction de base doit nécessairement prendre la forme d’une fraude fiscale grave.

Cette insertion visait à assouplir le régime pour les institutions bancaires qui ne pouvaient plus être poursuivies du chef de blanchiment visé au n°4 de l’alinéa 1 de l’article 505 du code pénal, à savoir le fait de dissimuler ou déguiser (des avantages patrimoniaux illicites) que si l’infraction de base est une fraude fiscale grave (organisée ou non).

Sur base du contenu du § 3, un banquier ne pouvait pas être poursuivi pour blanchiment pour le simple fait qu’une personne qui placerait un montant sur un compte bancaire qu’elle ne déclarerait pas l’année ultérieure dans sa déclaration fiscale (et commettrait donc une fraude fiscale simple) pourrait être poursuivie du chef de blanchiment de capitaux.

En ce qui concerne les tiers tels que les organismes et les personnes soumises à une obligation déclarative dans le cadre de la loi préventive du blanchiment de capitaux, cette exception à la possibilité de les poursuivre du chef de blanchiment de capitaux visé au §3 de l’article 505 du code pénal lorsque l’infraction de base est une infraction fiscale, ne pouvait s’appliquer pour autant que « à l’égard des faits y visés » elles se soient conformées à l’obligation de dénonciation à la Cellule de Traitement des Informations Financières.

Cette insertion a fait couler beaucoup d’encre lors de son introduction car dans quelle mesure peut-on attendre d’un organisme visé par la loi préventive en matière de blanchiment de capitaux, qui voudrait invoquer l’impunité car l’infraction de base est de la fraude fiscale simple que, pour ces mêmes faits, il dénonce ceux-ci à la Cellule de Traitement des Informations Financières, ce qui implique nécessairement l’existence d’une fraude fiscale grave ?

Ce sont précisément ces paragraphes 3 et 4 de l’article 505 du code pénal qu’est venu modifier la loi du 18 janvier 2024[6]visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme, en vigueur depuis le 5 février 2024.

Le nouveau § 3 de l’article 505 du code pénal dispose à présent que :

« Les entités assujetties telles que visées à l’article 5, §§ 1er et 4 de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces, ainsi que leurs administrateurs, préposés et mandataires sont exempts de peine pour les infractions visées à l’alinéa 1er, 2° et 4° dans la mesure où, en ce qui concerne les faits concernés commis dans le cadre de la fraude fiscale autre que la fraude fiscale grave, organisée ou non, ils se sont conformés à la législation et la réglementation en matière de lutte contre la fraude fiscale, y compris celles découlant de la loi du 18 septembre 2017 ».

Les remarques suivantes s’imposent au sujet de cette modification.

D’abord, l’exception anciennement prévue de poursuite des tiers par rapport à l’infraction de base du blanchiment visé à l’alinéa 1, 2° et 4° de l’article 505 du code pénal lorsque l’infraction de base est de la fraude fiscale simple ne s’applique plus, quels que soient ces tiers.

Cela signifie qu’un tiers qui accepterait une donation provenant en partie d’une fraude fiscale simple, comportement visé à l’article 505, al. 1, 2° du code pénal, pourrait être poursuivi du chef de blanchiment de capitaux alors que ce n’était pas le cas dans l’ancienne mouture de l’article 505 du code pénal.

En ce qui concerne les entités telles que les institutions bancaires soumises aux obligations des entités visées à la loi en matière de prévention du blanchiment de capitaux, celles-ci continuent à pouvoir faire l’objet de poursuites dans cette même hypothèse mais elles peuvent toutefois éviter l’application d’une sanction, dans la mesure où, à nouveau, elles se seraient conformées à leurs obligations en matière de lutte contre la fraude fiscale, ainsi que leurs obligations préventives.

Par rapport à l’ancien texte, on remplace la nécessité de se conformer à l’obligation de dénonciation à la Cellule de Traitement des Informations Financières par une obligation plus générale de se conformer, en ce qui concerne des faits de fraude fiscale simple, à la législation et la réglementation en matière de lutte contre la fraude fiscale mais également aux obligations découlant de la loi du 18 septembre 2017, ce qui reste curieux, dans la mesure où cette législation ne vise dans son champ d’application matériel que la fraude fiscale grave et non la fraude fiscale simple.

Pour les entités soumises à l’obligation déclarative, en vertu de la loi préventive du blanchiment de capitaux, le nouvel article 505ter du code pénal prévoit une aggravation de la peine, à savoir un emprisonnement de 3 à 5 ans et une amende de 10.000 à 200.000 euros.

Pour les autres auteurs de l’infraction de blanchiment, la sanction consiste en un emprisonnement de 15 jours à 5 ans et une amende de 26 à 100.000 euros.

En conclusion, depuis l’entrée en vigueur du nouveautexte de l’article 505 du code pénal, échapper à des poursuites du chef de blanchiment de capitaux pour un tiers par rapport à l’infraction de base tel qu’un donataire ou un héritier acceptant une succession, n’est plus possible, dans l’hypothèse où l’infraction de base commise par l’auteur est une infraction fiscale simple.

Pour les organismes telles que les institutions bancaires visées par la loi préventive du blanchiment de capitaux, il en va de même, à la différence que celles-ci peuvent éviter, non pas les poursuites, mais l’application d’une sanction, si elles se sont conformées à des obligations dont malheureusement la teneur précise n’a pas été clarifiée ou l’incompatibilité par rapport au champ d’application rationae materiaede la loi préventive en matière de blanchiment de capitaux (qui s’applique uniquement à la fraude fiscale grave) n’a pas été résolue.

Cette modification risque de rendre encore plus ardue la tâche des institutions financières lorsqu’il s’agira d’apprécier l’acceptation du rapatriement de fonds en Belgique.

Angélique Puglisi, Afschrift Tax & Legal


Références

[1] Loi du 7 avril 1995, M.B., 10 mai 1995, p. 12.378.

[2] Loi du 10 mai 2007, M.B., 22 août 2007, p. 43.896.

[3] Loi du 15 juillet 2013, M.B., 19 juillet 2013, p. 45.431.

[4] Cass., 19 novembre 2019, T. Straf. 2020, p. 211.

[5] Cass., 21 juin 2000, Pas., 2000, 387.

[6] § 3 remplacé par l’article 42 de la loi du 18 janvier 2024 (M.B., 26 janvier 2024).

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