Dans le cadre de l’exécution d’un contrat d’entreprise, il n’est malheureusement pas rare que le maître d’ouvrage (ou l’entrepreneur principal) soit confronté à des défauts d’exécution, voire des inexécutions, de la part des entrepreneurs (ou sous-traitants).
Lorsque cette hypothèse se présente, en vue d’éviter les pertes de temps qui peuvent générer un important dommage (qu’il s’agisse de troubles de jouissance, d’indemnités de retard, de la réorganisation ou replanification d’un chantier, …), l’une des options qui s’ouvre au cocontractant de l’entrepreneur défaillant est de procéder au remplacement de celui-ci. Force est toutefois de constater qu’un tel mécanisme est souvent mis en œuvre sans en connaître les tenants et aboutissants, et parfois sans en respecter les conditions de fond ou de forme. Cet article a pour objet de brièvement rappeler ces conditions.
Avant toute chose, il convient de souligner que la mise en œuvre d’un remplacement d’entrepreneur ne met pas fin au contrat mais bien un mode extinctif des obligations et/ou du contrat mais un mode d’exécution en nature indirecte ou subsidiaire. Il consiste à faire procéder par un tiers à l’exécution de l’obligation en souffrance, cela aux frais du débiteur (articles 1143 et 1144 du Code civil).
En principe, à défaut de mention spécifique dans le contrat d’entreprise ou dans les conditions générales de sous-traitance, auquel cas ces dispositions feront la loi des parties, le remplacement unilatéral extrajudiciaire n’était pas admis. En d’autres termes, la personne qui fait face à un entrepreneur défaillant doit solliciter du Tribunal l’autorisation de procéder au remplacement de cet entrepreneur.
Cette exigence met sérieusement à mal l’efficacité de ce procédé, à tout le moins en ce qui concerne la possibilité d’éviter les importants retards liés à la défaillance prolongée d’un entrepreneur (le risque étant que ce dernier soit déclaré en faillite, privant son cocontractant de la possibilité d’être indemnisé de ce préjudice).
Afin de pallier ce défaut majeur, la Jurisprudence admet de longue date et de manière unanime la régularité d’un remplacement d’entrepreneur avant l’introduction d’une procédure judiciaire, à charge pour le cocontractant de solliciter a posteriori la validation de ce remplacement.
Ce remplacement extrajudiciaire est toutefois soumis à diverses conditions, de fond et de forme, qu’il convient de respecter afin d’éviter les déconvenues ultérieures et/ou les longues et incertaines discussions devant le Juge.
Les conditions de mise en œuvre du remplacement extrajudiciaire
- La défaillance de l’entrepreneur remplacé
La première condition pour qu’un remplacement d’entrepreneur soit admis est, bien entendu, que le cocontractant soit en défaut d’exécution. Il n’est évidemment pas admissible de procéder au remplacement d’un entrepreneur qui remplit correctement ses obligations.
Lorsque l’entrepreneur suspend son intervention sur la base de l’exception d’inexécution et que cette dernière est valablement invoquée, son cocontractant ne peut procéder à son remplacement.
- Les circonstances exceptionnelles
Il était largement admis par les Cours et Tribunaux que l’économie du contrôle préalable du juge ne pouvait être effectuée que dans l’hypothèse où le litige présentait une certaine urgence.
La Cour de cassation a toutefois élargi, dans un arrêt du 18 juin 2020, les possibilités de procéder au remplacement extrajudiciaire en admettant ce type de remplacement en cas de circonstances exceptionnelles, telles que l’urgence, cette dernière n’étant plus désormais mentionnée qu’à titre exemplatif (1)
La mauvaise foi manifeste du débiteur, son incompétence flagrante, sa renonciation à exercer son droit, sont d’autres exemples cités de longue date par certains auteurs (voyez notamment le commentaire de cet arrêt par Raxhon, S., « Remplacement extrajudiciaire : le formalisme issu de la jurisprudence est-il en train de devenir une pure formalité ? » (2).
La Cour indique que « En cas d'inexécution d'une obligation contractuelle, le créancier a le droit, si la prestation s'y prête, de se faire autoriser par le juge de faire exécuter l'obligation par un tiers aux frais du débiteur.
Dans des circonstances exceptionnelles, telles que l'urgence, le créancier peut y recourir sans autorisation judiciaire, à ses frais et à ses risques, et recouvrer ces frais auprès du débiteur, son comportement étant soumis au contrôle ultérieur du juge.
Dans les deux cas, le créancier doit tenir compte des intérêts raisonnables du débiteur ».
Le projet de réforme du Code civil va dans le même sens puisque l’article 5.85 stipule que ce dernier autorisera le cocontractant à remplacer l’entrepreneur défaillant « en cas d'urgence ou d'autres circonstances exceptionnelles » (3)
- La mise en demeure préalable
Le remplacement ne sera considéré comme régulier que lorsque l’entrepreneur aura été mis en demeure d’exécuter ses obligations et qu’il se sera abstenu de le faire à l’issue du délai imparti.
Cette exigence de mise en demeure est générale et ne souffre que quelques exceptions, comme dans l’hypothèse où l’entrepreneur a déjà indiqué qu’il ne s’exécuterait pas.
Il convient également d’informer le débiteur, dans cette mise en demeure, de son intention de procéder à son remplacement en cas d’inexécution.
- La conservation de la preuve de l’inexécution fautive
Le cocontractant qui procède au remplacement doit se ménager la preuve de l’inexécution fautive ou de la mauvaise exécution fautive de l’entrepreneur.
Le créancier doit en effet « tenir compte des intérêts raisonnables du débiteur » selon la Cour de cassation, ou encore prendre « les mesures utiles pour établir l’inexécution du débiteur » selon les rédacteurs du projet de réforme du Code civil (non encore en vigueur mais qui traduit bien l’état actuel du droit).
La réalisation de constats contradictoires signés par les deux parties est certainement le moyen le plus efficace de se manger cette preuve.
L’entrepreneur défaillant refusera toutefois, bien souvent, de signer le document en question, voire même de participer à la réunion au cours de laquelle les constats sont réalisés.
En cette hypothèse, afin d’éviter les discussions sur la réalité des constats, le cocontractant sera inspiré de communiquer ceux-ci à l’entrepreneur sans délai en l’invitant à faire valoir ses observations.
- La bonne foi dans la mise en œuvre
Le remplacement ne peut être mis en œuvre en mesure de rétorsion, afin de « punir » le cocontractant défaillant.
L’on ne peut donc activer ce mécanisme si le bénéfice escompté est sans commune mesure avec les inconvénients pour l’entrepreneur défaillant.
Diverses discussions existent sur le fait de savoir si l’on doit être en présence d’un manquement présentant une certaine gravité. Aucune solution unanime n’a été dégagée à cet égard, certaines juridictions exigeant un manquement suffisamment grave, d’autres non.
Cette question doit donc également être abordée sous l’angle de la bonne foi dans la mise en œuvre de la faculté de remplacer le débiteur défaillant.
Le remplacement doit également être mis en œuvre sans retard, eu égard aux circonstances. Cette question pourra faire l’objet de débats car, dans de nombreuses hypothèses, le créancier ne pourra pas obtenir l’intervention immédiate d’un autre entrepreneur (outre la disponibilité d’autres entrepreneurs, divers travaux nécessitent de commander des matériaux dont la livraison peut prendre un délai considérable – particulièrement à la période de rédaction de la présente contribution).
Il est enfin évident que le remplacement ne peut concerner que les travaux qui avaient été confiés à l’entrepreneur défaillant, qui ne devra pas supporter les travaux supplémentaires réalisés par l’entrepreneur remplaçant.
- Le cas particulier de la clause contractuelle
La matière n’a pas trait à l’ordre public, de telle sorte que les parties sont libres de modaliser la faculté de remplacement et de prévoir l’absence de contrôle du juge, de même que les conditions précises dans lesquelles ce mécanisme pourra être mis en œuvre.
Il convient d’être particulièrement attentif au respect des règles, tant de fond que de forme, lorsque l’on actionne le mécanisme du remplacement d’entrepreneur.
En effet, la situation d’un maître d’ouvrage (ou entrepreneur principal) qui a procédé au remplacement d’un entrepreneur (ou sous-traitant) défaillant sans respecter les conditions peut être particulièrement frustrante puisque la prise en charge des frais de remplacement exposés pourrait lui être refusée, tandis que, en certaines circonstances, la mise en œuvre irrégulière du remplacement peut être considérée comme fautive et, partant, exposer le maître d’ouvrage (ou entrepreneur principal) à une condamnation à indemniser le préjudice subi, du fait de ce remplacement, par l’entrepreneur remplacé. La prudence est donc de mise…
Me Julien Feltz, avocat au Barreau de Liège-Huy
Références
(1) (Cass. (1ère chambre), 18/06/2020, arrêt n° F-20200618-3 (C.18.0357.N) – https://juportal.be/content/ECLI:BE:CASS:2020:ARR.20200618.3/NL?HiLi=eNpLtDKwqq4FAAZPAf4= )
(2) J.L.M.B., 2021/19, p. 849-852)
(3) (https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/1806/55K1806001.pdf, p.319)
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