Le 12 février dernier, le juge des référés du Conseil d’État a suspendu l’ensemble du dispositif de l’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale qui permet, dans le contexte de crise sanitaire de l’épidémie de Covid-19, de recourir à la visioconférence en matière pénale sans l’accord des parties (CE, 12 févr. 2021, n° 448972, 448975 et 448981). Il renvoie ce faisant à une précédente décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier (CCel, 15 janv. 2021, n° 2020-872 QPC) qui déclare contraire à la Constitution l’alinéa 1 de l’article 5 de cette même ordonnance prévoyant la possibilité d’un recours similaire devant les juridictions pénales autres que criminelles.
Avec la reconnaissance de l’inconstitutionnalité de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-1401 (II) et la suspension de l’exécution de l’article 2 (III), le débat judiciaire visant le recours généralisé à l’audience en visioconférence en matière pénale, sans l’accord des parties, dans le contexte de lutte contre l’épidémie de Covid-19 (I) prend fin en France. Celui-ci s’inscrit cependant dans le cadre d’un débat plus large, ouvert, et tout aussi essentiel (IV).
Le recours généralisé à la visioconférence sans le consentement des parties en matière pénale
Afin d’assurer la continuité de la justice malgré les restrictions sanitaires liées à la lutte contre la propagation de l’épidémie de Covid-19, trois ordonnances adaptant les procédures pénales, administratives et civiles sont publiées au Journal Officiel le 14 mai 2020 sur la base de la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020.
Confronté à une recrudescence de l’épidémie en France, le gouvernement adopte de nouvelles mesures à l’automne de la même année. L’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 est publiée. Elle adapte des règles de procédure pénale pour la continuité de l’activité des juridictions pénales, essentielle au maintien de l’ordre public. Certaines de ses dispositions prévoient notamment, par dérogation à l’article 706-71 du code de procédure pénale (CPP), la possibilité de recourir à la visioconférence sans l’accord des parties.
Pour mémoire, en France, l’interdiction absolue de recourir à la visioconférence en matière pénale n’est prévue que dans de rares cas, tels que la présentation de l’accusé devant la cour d’assises, la comparution devant le tribunal correctionnel d’un prévenu non détenu pour une autre cause, ou encore le placement en détention provisoire sauf lorsque la personne est détenue pour une autre cause.
En dehors de ces hypothèses, le recours à la visioconférence est autorisé, dans le respect des droits de la défense (al. 6 art. 706-71 CPP). En outre, dans la plupart des cas, le recours à la visioconférence n’est pas subordonné à l’accord des parties. Il peut ainsi leur être imposé dans certaines hypothèses avant l’audience (v. par ex. art. 695-28 et 696-11 CPP), mais également en cours d’audience de jugement pour l’audition des experts, des parties civiles ou des témoins par exemple (Crim., 13 déc. 2017, n° 16-80.459), et dans le cadre de l’application des peines (art. 712-6, 712-7 et 706-71 CPP).
En revanche, l’article 706-71 prévoit des cas dans lesquels le recours à la visioconférence est possible mais ne saurait être imposé. Ainsi, en matière de détention provisoire, le consentement des parties doit être recueilli afin de pouvoir recourir à la visioconférence pour la comparution du prévenu détenu devant le tribunal correctionnel (al. 3) ou la cour d’appel (Crim., 25 mai 2026, n°16-81.217), dans le cadre des audiences au cours desquelles il doit être statué sur le placement en détention provisoire d’une personne détenue pour une autre cause, ou sur la prolongation de la détention provisoire.
C’est également le cas dans des hypothèses bien précises en matière de demandes de mise en liberté, à savoir « lorsqu’il doit être statué sur l’appel portant sur une décision de refus de mise en liberté ou sur la saisine directe de la chambre de l’instruction en application du dernier alinéa de l’article 148 ou de l’article 148-4 par une personne détenue en matière criminelle depuis plus de 6 mois dont la détention n’a pas déjà fait l’objet d’une décision de prolongation et n’ayant pas personnellement comparu, sans recourir à un moyen de communication audiovisuelle, devant la chambre de l’instruction depuis au moins 6 mois. »
Des dérogations aux dispositions de cet article 706-71 CPP sont prévues par l’ordonnance en cause du 18 novembre 2020. Son article 5 autorise le recours à un moyen de communication audiovisuel sans l’accord des parties devant l’ensemble des juridictions pénales autres que criminelles pendant l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020 et pendant un mois après la fin de celui-ci. L’article 2 autorise, quant à lui, un tel recours sans l’accord des parties devant l’ensemble des juridictions pénales et pour les présentations devant le procureur de la République ou le procureur général, une fois l’instruction à l’audience (art. 346 CPP) terminée.
Cette réglementation ne fait pas l’unanimité en France.
L’inconstitutionnalité de l’alinéa 1 de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-1401
Le Conseil Constitutionnel français a été saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par un requérant placé en détention provisoire. Celui-ci contestait l’application de l’article 5 de l’ordonnance du 18 novembre 2020 permettant à la chambre de l’instruction de statuer par visioconférence sur la prolongation de sa détention provisoire sans qu’il n’ait la possibilité de s’y opposer. Il soulignait le caractère disproportionné de l’atteinte à ses droits de la défense, la mesure ayant pour effet de le priver de la possibilité de comparaître devant son juge pendant plus d’un an.
Les nouvelles dispositions qui visent à étendre les possibilités de recours à la visio-audience ont fait l’objet d’une vive contestation en France, en particulier dans la profession d’avocat dont les représentants ont multiplié les recours judiciaires devant nos juridictions supérieures.
Dans sa décision du 15 janvier 2021, le Conseil constitutionnel rappelle le principe selon lequel le recours à la visioconférence peut être imposé à des parties dans des cas précis et encadrés pour répondre à l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice. Il prend également acte de l’objectif de la disposition visant à favoriser, dans un contexte de crise sanitaire, la continuité du fonctionnement de la justice, objectif à valeur constitutionnelle. Il relève toutefois deux carences majeures du dispositif en cause. D’une part, l’article 5 a un large champ d’application. Il s’étend à l’ensemble des juridictions pénales à la seule exception des juridictions criminelles et ce, y compris en dehors des hypothèses d’exigence de consentement prévues par l’article 706-71 CPP. Il s’agit donc d’une dérogation totale et non partielle à la règle de principe. D’autre part, la faculté de recourir à la visioconférence sans l’accord des parties qui est offerte au juge n’est soumise à aucune condition légale ni aucun critère d’encadrement.
La portée si générale de la mesure apparaît comme étant inacceptable au regard de l’atteinte qui en résulte pour l’exercice dans des instances pénales des droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC). Partant, le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnelle la disposition en cause.
La suspension de l’exécution de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-1401
La profession d’avocat s’est également largement mobilisée en France. Le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus ainsi que le Conseil National des Barreaux et l’Association des avocats pénalistes ont saisi le juge des référés du Conseil d’État de plusieurs recours visant l’article 2 de l’ordonnance du 18 novembre 2020.
Ils contestaient la méconnaissance grave et manifeste des droits de la défense et du droit à un procès équitable, garantis par l’article 16 DDHC et l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui comprennent le droit de comparaître physiquement devant un juge et de ne pas se voir imposer une comparution par un procédé de communication audiovisuelle qui constituerait un moyen d’expression dégradé.
Les représentants de la profession avançaient le caractère disproportionné de la mesure en cause en ce qu’elle prévoit un recours élargi et généralisé à la visioconférence en matière pénale, indépendamment de la gravité des faits et de la sanction encourue et ce, sans aucune garantie précise. La faculté de recourir à la visioconférence sans le consentement des parties est en effet laissée à l’appréciation discrétionnaire des magistrats. Aucune condition légale ni aucun critère de mise en œuvre n’est prévu par la disposition contestée. La mesure exceptionnelle serait en outre injustifiée puisque des dispositifs ont été mis en place depuis le premier état d’urgence sanitaire de mars, permettant d’ores et déjà d’assurer la continuité du service.
Le 12 février 2021, grâce à la mobilisation des confrères, l’exécution de la disposition contestée était suspendue par le juge des référés du Conseil d’État. Ce dernier se réfère ce faisant à la décision de janvier du Conseil constitutionnel.
Les enseignements du débat juridique
Les juges du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel ont tranché en faveur de la protection du justiciable. Ils rappellent ainsi l’importance primordiale du respect des droits de la défense, même dans un contexte exceptionnel de crise sanitaire.
Le recours à l’audience par visioconférence sans l’accord des parties en matière pénale n’est pas désavoué dans son principe. Les objectifs de bonne administration de la justice et de sécurité et santé publique peuvent justifier d’y recourir. Toutefois, une telle mesure doit toujours rester strictement proportionnée et encadrée.
Au fond, l’affaire rappelle le débat plus général qui entoure la tenue des audiences en visioconférence. Les réticences sont nombreuses et compréhensibles. Il convient toutefois de distinguer selon les contentieux visés. Les enjeux de l’audience ne sont pas les mêmes du point de vue du pénaliste ou, par exemple, du fiscaliste. Dans le contentieux pénal, la spontanéité et la solennité attendues de l’audience poursuivent un objectif de recherche de la vérité. Ce n’est pas nécessairement vrai dans les contentieux de nombreuses autres matières.
Une opposition de principe contre l’audience en visioconférence semble aujourd’hui difficilement défendable. Ce serait nier la réalité de ces matières dans lesquelles les accords se concluent déjà bien souvent, exclusivement en distanciel. Ce serait également se priver, dans ces contentieux spécifiques, des bienfaits pratiques de la visioconférence pour le justiciable et la bonne administration de la justice.
Le débat autour de la visio-audience apparaît surtout comme le reflet d’une crainte celle d’une audience en danger tant au niveau national qu’européen. La tendance est en effet à leur diminution, voire à leur disparition. Alors que la procédure orale est jugée coûteuse, inutile ou utilisée comme procédé dilatoire, la procédure exclusivement écrite pour un jugement sans audience s’installe progressivement dans les mœurs judiciaires. L’audience est pourtant primordiale pour garantir les droits de la défense, elle doit être préservée. Si elle peut et doit être repensée, la visioconférence sera peut-être justement une piste à explorer dans cet objectif de préservation (v. notamment le rapport « L’audience état des lieux et réflexions prospectives », CNB, 13 novembre 2020).
La crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 n’a fait que renforcer la prise de conscience de l’utilité des audiences en visioconférence. Les juridictions nationales, européennes et internationales ont dû y recourir afin d’assurer la continuité du fonctionnement de la justice. Il est très probable que la visio-audience a un bel avenir devant elle, sous réserve toutefois du respect des droits de la défense qui doivent primer sur toute recherche d’efficacité et de… facilité.
Bertrand Debosque, avocat associé-partner chez Bignon Lebray et ancien bâtonnier
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