Tant en Belgique que chez nos voisins du Nord, des affaires climatiques controversées ont récemment été réglées. Par exemple, un tribunal néerlandais[1] a obligé la société anglo-néerlandaise Shell à réduire ses émissions de CO² de 45 % d'ici 2030 par rapport à 2019. Dans notre cas, l'ASBL Klimaatzaak est arrivée en tête dans son combat pour un meilleur climat.
Milieudefensie c. Royal Dutch Shell Plc
Le juge de La Haye a contraint Shell de se conformer à l'accord de Paris sur le climat. Bien que la société ne fasse pas partie de cet accord, le juge fait valoir que la politique de Shell, peu favorable au climat, fait obstacle à une bonne exécution de l'accord sur le climat.
La question est de savoir quel sera l'impact de cet arrêt à l'avenir. En tout cas, il ouvre la porte à d'éventuelles nouvelles condamnations de grandes entreprises trop laxistes face au réchauffement climatique, puisque le verdict stipule que d'autres entreprises devront également réduire leurs émissions CO2. Le géant pétrolier ExxonMobil a lui aussi été récemment réprimandé et contraint de suivre une voie plus écologique. Engine No.1, un actionnaire activiste d'ExxonMobil possédant à peine 0,02% des actions, a réussi à convaincre l'assemblée générale de laisser partir deux directeurs qui ne prenaient pas la menace du changement climatique au sérieux. Ils ont été remplacés par deux de leurs propres candidats qui veulent combiner la durabilité et l'innovation avec des rendements financiers.[2]
Il est clair que le pouvoir judiciaire a entendu l'appel à l’action pour le climat. Pour atteindre les objectifs de l'accord de Paris sur le climat, les entreprises comme Shell doivent prendre leurs propres responsabilités et faire des efforts. On attend d'eux qu'ils fassent tout leur possible pour offrir des alternatives plus écologiques tant aux fournisseurs qu’aux consommateurs. Selon le juge, Shell met la vie des gens en danger en ne prenant aucune mesure contre le réchauffement climatique.
Le tribunal néerlandais utilise littéralement le concept de "mise en danger illicite" comme base juridique. Le concept de "mise en danger illicite" fait référence à un jugement concernant une « cavité » ouverte dans une cave d'un pub à Amsterdam. La Cour suprême néerlandaise a jugé qu'en laissant cette excavation ouverte, le fournisseur aurait dû savoir que cela créerait une situation dangereuse. Il aurait dû prendre les mesures nécessaires pour éviter cette "situation dangereuse" et a donc été condamné à payer le préjudice personnel subi par le client du café à cause de sa chute dans ce « trou ».[3]
Cet arrêt Kelderluik a été suivi par l'arrêt Jetblast [4]en 2004. Un arrêt classique de la Cour suprême des Pays-Bas sur la dangerosité et le devoir d'alerte. Un touriste se tenait sur la voie publique, derrière une clôture, et regardait un avion décoller. Un panneau avait été placé sur la clôture accompagné d’un texte d'avertissement indiquant que les avions volant à basse altitude pouvaient provoquer un fort courant d'air susceptible de causer des blessures. La Cour suprême a conclu qu'un avertissement n'est suffisant que si le public est réellement conscient du danger et que l'avertissement entraîne des actes ou des omissions pour éviter le danger. L'arrêt Jetblast est particulièrement important pour évaluer si un avertissement suffisant a été donné pour prévenir une situation dangereuse. Cet arrêt phare est régulièrement appliqué dans la pratique juridique néerlandaise dans le cadre des accidents industriels.
Cependant, l'utilisation de la notion de "poursuite du danger illicite" dans le contexte des affaires climatiques est quelque peu discutable. A partir de quand quelque chose peut être qualifié de dangereux et à partir de quand des mesures insuffisantes ont-elles été prises ? Est-il souhaitable d'appliquer un concept aussi vague dans les affaires climatiques ? De cette façon, on pourrait de facto poursuivre n'importe quelle entreprise en justice, car la question de savoir si des mesures suffisantes ont été prises ou non contre le réchauffement climatique est une question de fait.
Vzw Climate Case c. État Belge, Région wallonne, Région flamande, Région de Bruxelles-Capitale
Récemment, le rideau est tombé sur l'une des affaires climatiques les plus médiatisées de l'histoire de la Belgique.[5] Le tribunal de première instance de Bruxelles a condamné collectivement les gouvernements belges[6] pour leur politique climatique négligente. Cette décision est unique car c'est la première fois qu'un juge de notre pays condamne les quatre gouvernements pour leur politique climatique négligente. Dans un contexte où les autorités belges étaient pleinement conscientes du risque certain du danger que représente le réchauffement climatique, notamment pour la population du pays, les juges ont estimé que ni l'État fédéral ni aucune des trois régions n'avaient agi en tant qu’autorité prudente et diligente au sens de l'article 1382 du Code civil.
Pour les plaignants, il ne s'agit pas tant de compenser les dommages subis mais de changer la politique générale de lutte contre le réchauffement climatique. L'ASBL Klimaatzaak souhaite ainsi attirer l'attention sur le droit de chacun à un environnement sain et faire prendre conscience aux gouvernements de leurs responsabilités.[7] Un exemple typique de l'action déclaratoire (curative) conformément à l'article 18 du Code judiciaire. Cette disposition stipule que l'intérêt à agir doit avoir été obtenu et déclaré immédiatement, et l'action en justice peut être admise si elle est intentée pour empêcher la violation d'un droit sérieusement menacé, même pour obtenir une déclaration de droit (action déclaratoire). L'ASBL Klimaatzaak a demandé au tribunal d'ordonner au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour prévenir un dommage futur réel et non hypothétique, afin de pouvoir faire valoir un intérêt juridique au sens de l'article 18, alinéa 2 du Code judiciaire.[8]
Un autre point remarquable dans le jugement est aussi l'intervention volontaire au nom et pour le compte de 82 arbres "de longue date". À première vue, une notion comique et farfelue, mais au vu de la nature évolutive de la loi, cela pourrait être bientôt une normalité. Par exemple, les animaux se sont récemment vu accorder davantage de droits et, selon le nouveau Code civil[9] , ils se distinguent des objets et des personnes parce qu'ils éprouvent des sensations et des besoins biologiques. Une évolution qui pourrait s'étendre aux arbres en tant que plaideur valable à l'avenir. Jusqu'à présent, les arbres n'ont pas qualité pour intenter un procès, de sorte que l'intervention volontaire a été déclarée irrecevable.
En outre, l'arrêt indique que les autorités belges n'ont actuellement pas pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir les effets du changement climatique sur notre vie et la vie privée des plaignants, comme elles sont tenues de le faire en vertu des articles 2 et 8 de la CEDH.
Un signal fort pour les décideurs politiques de notre pays, mais ce jugement ne va pas assez loin pour l'ASBL Klimaatzaak. Par rapport à la jurisprudence néerlandaise dans des procès similaires, le tribunal belge n'a pas suivi le pouvoir d'imposer des objectifs concrets. "Il n'appartient pas à un juge d'imposer des objectifs, c'est la tâche des gouvernements et des parlements car c'est le principe de la séparation des pouvoirs qui le permet", peut-on lire. Entre-temps, ASBL Klimaatzaak a confirmé qu'elle fera appel auprès de la Cour d'appel de Bruxelles pour que ces objectifs soient inclus.
Il reste à voir si l'appel de l'ASBL Klimaatzaak fera une différence maintenant que le Tribunal de première instance a correctement appliqué les principes de l'arrêt Ferrara.[10] Dans cet arrêt, la Cour de cassation explique au législateur l'application de l'article 1382 du Code civil. Par exemple, le principe de la séparation des pouvoirs n'implique pas que, d'une manière générale, l'État soit dispensé de l'obligation de réparer les dommages causés à autrui par sa propre faute ou celle de ses organes dans l'exercice de ses fonctions législatives. Toutefois, dans l'appréciation de l'illégalité, il n'appartient pas aux tribunaux d'interférer avec la fonction législative et le processus législatif politique. Il appartient uniquement au pouvoir judiciaire de protéger les droits civils.[11]Pour une nouvelle décision en appel, il peut s'écouler plusieurs années avant qu'elle ne soit rendue.
Conseil du contentieux des permis
Le 22 avril 2021, le Conseil du contentieux des permis a publié une décision remarquable[12]en rapport avec le réchauffement climatique. Un permis pour la création d'une nouvelle station-service a été suspendu parce que la station ne fournirait que des combustibles fossiles. L'octroi d'une licence pour une station-service classique sans installations permettant d'anticiper les changements futurs serait clairement en contradiction avec les objectifs climatiques que la municipalité (où la nouvelle station-service serait située) s'est engagée à atteindre.[13]
De l'article 4.3.4. VCRO[14], il s'ensuit que l'autorité qui accorde le permis peut refuser un permis si l'avis obligatoire montre que la demande n'est pas souhaitable en raison des objectifs et des devoirs de diligence dans le domaine politique de l'organe consultatif.
En reconnaissant les ambitions climatiques des communes comme un motif de refus au sens de l'article 4.3.4 VCRO, le Conseil du contentieux des permis fournit un outil juridique important aux communes et aux villes pour faire appliquer une politique climatique plus verte par le biais des permis.
L'appel à une politique climatique durable est devenu de plus en plus fort ces dernières années, ce qui n'a pas échappé à l'attention du pouvoir judiciaire. Le pouvoir judiciaire semble donc jouer un rôle de plus en plus important pour imposer une politique climatique plus verte aux entreprises et aux pouvoirs publics.
Références
[1] Rb. La Haye 26 mei 2021, ECLI:NL:RBDHA:2021:5337.
[2]https://qz.com/2014413/engine-no-1-the-little-hedge-fund-that-shook-exxonmobil/ ; https://www.change.inc/energie/activistische-aandeelhouder-wil-exxonmobil-tot-duurzame-koers-dwingen-36467 ; https://www.standaard.be/cnt/dmf20210527_97897116
[3] HR 5 november 2021, https://web.archive.org/web/20170111021451/http://www.juridischeuitspraken.nl/19651105HRKelderluik.pdf
[4] https://uitspraken.rechtspraak.nl/inziendocument?id=ECLI:NL:HR:2004:AO4224
[5] https://prismic-io.s3.amazonaws.com/affaireclimat/18f9910f-cd55-4c3b-bc9b-9e0e393681a8_167-4-2021.pdf
[6] Il s'agit de l'État belge, c’est à dire la Région wallonne, de la Région flamande et la Région de Bruxelles-Capitale.
[7] Voir les notes de «Wie is vzw Klimaatzaak?» sur la page principale de l’ASBL Klimaatzaak: https://www.klimaatzaak.eu/nl (laatst geraadpleegd op 2 september 2021).
[8] https://prismic-io.s3.amazonaws.com/affaireclimat/18f9910f-cd55-4c3b-bc9b-9e0e393681a8_167-4-2021.pdf , p.55; P. GILLAERTS, De multifunctionaliteit van het buitencontractuele aansprakelijkheidsrecht en de meerwaarde van de declaratoire vordering, RW 2020-21, nr. 32.
[9] Artikel 3:38, 3:39 NBW.
[10] Cass. 28 september 2006, JL.MB., 2006, blz. 1549.
[11] https://prismic-io.s3.amazonaws.com/affaireclimat/18f9910f-cd55-4c3b-bc9b-9e0e393681a8_167-4-2021.pdf
[12] https://dbrc.be/sites/default/files/atoms/files/RVVB.S.2021.0923.pdf
[13] Ainsi, le 1er juin 2015, la commune de Boechout a signé la " Convention des maires ", une initiative de la Commission européenne visant à atteindre les objectifs de la directive 2012/27/UE du Parlement européen et du Conseil de l'Europe du 25 octobre 2012 sur l'efficacité énergétique, modifiant les directives 2009/125/CE et 2010/30/UE.
[14] Code Flamand de l’aménagement du territoire
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