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31 Oct 2024 | Column

Les traducteur·trices et interprètes juré·es: la justice ne peut fonctionner correctement sans ces professionnel·le·s

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L’Union professionnelle des traducteurs et interprètes jurés (UPTIJ) exprime sa consternation face à une récente note du SPF Justice à l’attention de l’ensemble de l’ordre judiciaire. Les traducteur·trice·s et interprètes juré·e·s (TIJ) sont accusé·e·s de générer des frais jugés excessifs, notamment dans le cadre des dossiers d’écoute téléphonique. Pourtant, l’administration semble ignorer la réalité de leur travail et le rôle essentiel qu'ils jouent dans le bon fonctionnement de la justice. Les TIJ ne fixent ni leurs tarifs ni leurs horaires, et les coûts sont souvent liés à un grand nombre d’heures prestées, en grande partie à cause de la pénurie d’interprètes.

Les mesures d’urgence annoncées nuisent à la qualité des expertises et fragilisent la séparation des pouvoirs, mais surtout détournent l'attention des véritables problèmes : un budget insuffisant, des conditions de travail déplorables, des retards de paiement, une pénurie d’interprètes, aucune mesure de protection face aux risques liés aux dossiers sensibles.

Un déficit budgétaire de 23 millions d’euros que les TIJ devront supporter ?

Le SPF Justice a annoncé un déficit de 23 millions d’euros pour les frais de justice dans les affaires pénales en 2024. Pour 2024, 108 millions d’euros ont été budgétisés, mais ce montant est jugé insuffisant, comme l’avait déjà signalé la Cour des comptes : « Les crédits prévus pourraient aussi être insuffisants en 2024. » Cet avertissement a été ignoré par les responsables politiques. Lors de la présentation de la note de politique générale "Justice" pour 2024 au parlement, le ministre Van Tigchelt évoquait même des économies pour 2024, notamment sur les prestations des interprètes.

Malgré les succès annoncés dans la lutte contre la criminalité organisée (dossiers Sky ECC), les responsables politiques n’ont pas prévu les ressources nécessaires pour couvrir les coûts des services de traduction, pourtant essentiels dans ces enquêtes. L’UPTIJ craint que les traducteur.trices, interprètes et expert.es judiciaires ne soient pas payé·es pendant plusieurs mois, rappelant les circonstances qui ont conduit à la création de l’union professionnelle en novembre 2014.

Des chiffres fiables ?

En réponse aux chiffres partagés par le SPF Justice dans « L’Echo » du 12 octobre 2024, montrant une augmentation des frais de traduction et d'interprétation de 18,2 à 33,8 millions d’euros entre 2020 et 2023 (+85 %), il est important de rappeler qu’en juillet 2016, Koen Geens, le ministre de la Justice à l’époque, avait déjà annoncé une augmentation du budget annuel des traductions à 23 millions d’euros.

Nous avons de sérieuses réserves quant aux statistiques fournies par le SPF Justice. Selon Vincent Van Quickenborne, ministre de la Justice à l’époque, les dépenses pour les TIJ en matière pénale étaient les suivantes :

  • 2016: 22.181.583,66 euros
  • 2017: 22.657.358, 53 euros
  • 2018: 23.302.326,66 euros
  • 2019: 26.250.540,25 euros
  • 2020: 27.380/297,43 euros

Les chiffres des dépenses pour les traducteurs et interprètes communiqués par le SPF Justice au journal l’Echo en octobre 2024 :

  • 2020: 18.179.324,00 euro
  • 2021: 25.921.401,00 euro
  • 2022: 28.809.786,00 euro
  • 2023: 33.780.698,00 euro

Pour 2020, il existe une différence de plus de 9 millions d’euros. Cette différence pourrait s’expliquer par la première vague de COVID-19 et le confinement. Entre mi-mars et fin mai 2020, il n’y a pas eu d’audiences en présentiel, de nombreuses audiences et interrogatoires ont été annulés ou réduits, entraînant logiquement une baisse des dépenses. D'ailleurs, tous les autres postes de frais de justice ont fortement augmenté depuis 2020 :

La hausse récente des frais de justice et des coûts des services de traduction est principalement due à l’indexation des tarifs en 2022 (+4 %) et 2023 (+11 %). De plus, deux grandes affaires coûteuses, Sky ECC / Encrochat en 2024 et le procès lié aux attentats (décembre 2022 – septembre 2023), ont également impacté ces coûts. Le coût des interprètes dans le procès des attentats s'est limité à 560 931,49 euros (+ 32 781,03 euros pour les frais de déplacement) sur un total de 33 378 595,81 euros.

Un cadre strict pour les majorations

Contrairement aux idées reçues, les TIJ ne choisissent pas librement d’augmenter leurs frais. Les tarifs appliqués, bien inférieurs à ceux du secteur privé, sont strictement encadrés par un arrêté royal. La majoration de 50 % pour une traduction « urgente » ne s’applique que dans des cas spécifiques, notamment lorsque le volume dépasse 2 100 mots par jour (ou 210 lignes pour les langues à logogrammes). Par exemple, un·e traducteur·trice qui doit traiter une ordonnance de perquisition de 300 mots à 2h du matin avec un délai de deux heures ne sera pas rémunéré·e au tarif d’urgence, car le volume requis n’est pas atteint. Cette réalité est loin de l’idée d’une inflation arbitraire des coûts.

Les interprètes n’ont pas le choix de leurs horaires, étant réquisitionné·es par les autorités judiciaires ou policières, souvent pour des périodes longues, y compris les week-ends et les nuits. Ces interventions sont cruciales pour des enquêtes complexes comme l'affaire Sky ECC, où les écoutes téléphoniques sont essentielles pour lutter contre le crime organisé.

Un travail indispensable à la justice

Avant de parler de « coûts excessifs », il est important de considérer la réalité du terrain : combien d’heures ces professionnel·les doivent prester ? Quel est leur rôle dans la justice ? Le SPF Justice et les responsables politiques devraient se pencher sur leurs conditions de travail, les risques auxquels ces auxiliaires de justice sont exposé·es et les difficultés liées aux horaires décalés.

Le SPF Justice, ainsi que le ministre Van Tigchelt, ancien magistrat, devraient comprendre que ces prestations, loin d’être des dépenses superflues, sont indispensables pour garantir une justice équitable et efficace. Sans les TIJ, il serait impossible d’interroger des suspects allophones, de mener des enquêtes criminelles ou de garantir les droits linguistiques des parties concernées. Leurs services ont un coût, mais ils sont essentiels.

Des conditions de travail déplorables et des retards de paiement : un problème récurrent

Il est regrettable que les TIJ soient régulièrement stigmatisé·e·s pour des coûts qui sont pourtant nécessaires. La justice ne peut fonctionner correctement sans ces professionnel·le·s. En réalité, ce sont les contraintes budgétaires imposées par le SPF Justice qui menacent l’indépendance des magistrats et la conduite des enquêtes, exposant la justice à une pénurie d’expert·es.

L’administration se focalise facilement sur les coûts des traductions, mais oublie de résoudre un problème pourtant simple : payer les factures à temps. Plusieurs arrondissements judiciaires accusent des retards importants dans le traitement des paiements.

Les statistiques de paiement des factures de l’administration fédérale (premiers trois trimestres de 2024) montrent sans ambiguïté que seulement 70% des factures ont été payées dans le délai légal de 30 jours suivant la réception au bureau de taxation, ce qui représente une baisse de 20% par rapport à 2023. Le délai moyen entre la réception des factures et leur paiement s'est établi à 32 jours, contre 19 jours en 2023. Ainsi, durant les neuf premiers mois de 2024, les prestataires de services en matière pénale ont dû attendre en moyenne 13 jours de plus pour obtenir leur paiement. Cela représente une augmentation de 70 %. En outre, les statistiques du SPF Justice ne prennent en compte que les factures payées. Les factures qui ont également été introduites mais qui n'ont pas encore été payées ne sont pas incluses dans le statistiques.

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