EPPO : European Public Prosecutors’ Office
Il ressort du rapport budgétaire annuel de la Commission européenne que l’Union européenne et les États-membres rencontrent régulièrement de la fraude internationale à la TVA et des fraudes au détriment du budget européen[1]. Pour s’attaquer de façon efficace à ces fraudes – qui sont naturellement le plus souvent internationales par nature, il était nécessaire de mettre sur pied une institution qui puisse enquête au-delà des frontières pour ensuite engager des poursuites.
À ce jour, seules les autorités nationales peuvent enquêter sur les fraudes au détriment du budget européen et poursuivre leurs auteurs. Les compétences de ces autorités nationales s’arrêtent toutefois à leurs frontières. Les organes européens quant à eux – OLAF (l’Office européen de la lutte antifraude), Eurojust (l’Unité de coopération judiciaire de l’EU) – ne peuvent ni mener d’enquêtes pénales, ni poursuivre les auteurs de fraudes. De plus, tous les États-membres ne déploient pas les mêmes moyens pour faire appliquer la loi. Le faible nombre de poursuites aboutit à un faible taux de recouvrement, lorsque l’on compare les montants récupérés à ceux perdus en raison de la fraude.
Pour améliorer cette situation et assurer que le budget européen puisse être mieux investi, la Commission a proposé en juillet 2013 d’instaurer un « EPPO »[2], ou « Parquet européen »[3].
Création de l’EPPO
Le fondement d’un tel Parquet européen peut être ramenée au Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, qui disposait déjà dans son article 86 :
« Pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust. »[4]
Après 4 années de négociations, le Parquet européen a finalement été mis en place le 12 octobre 2017 par 20 États européens (l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, la République tchèque, l’Estonie, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, le Portugal, la Roumanie, la Slovaquie, l’Espagne et la Slovénie). À noter l’absence notable des Pays-Bas, qui s’étaient initialement opposés au projet estimant qu’il s’agissait d’une violation de leur souveraineté. Le Premier Ministre Rutte a toutefois déclaré le 16 octobre 2017 à la Chambre que les Pays-Bas se joindraient au projet dans sa forme actuelle.
Suite à cet accord fut adopté le Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen.
Suspect versus MP européen
Le Règlement garantit qu’un suspect dispose de tous les droits reconnus par la législation européenne et notamment la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ces droits sont explicitement mentionnés et comprennent, entre autres, les services de traduction et d’interprétation, l’information et l’accès au dossier, l’accès à un avocat, le droit de garder le silence et la présomption d’innocence. Le suspect bénéficie également des droits de la défense reconnus au niveau de la procédure nationale.
Le Parquet européen sera établi comme un organe de poursuites indépendant et décentralisé de l’Union européenne, qui sera compétent pour enquêter, poursuivre et traduire en justice les infractions pénales « portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union »[5]. Les comportements qui tombent dans le champ d’application de cette disposition sont explicitement mentionnés dans la Directive européenne 2017/1371[6], indépendamment de la qualification de ces comportements dans les droits nationaux.
L’EPPO (Le Parquet européen) ne sera en aucun cas compétent pour les infractions qui concernent les impôts nationaux directs, mais mènera les procédures portant principalement sur des fraudes impliquant des fonds de l’UE pour des montants supérieurs à 10 000 euros ainsi que sur des cas transfrontaliers complexes de fraude à la TVA causant plus de 10 millions d’euros de dommages[7].
Lignes de force
En ce qui concerne l’organisation et le travail de l’EPPO, celui-ci fonctionnera comme un organe collégial consistant en deux niveaux. Le niveau central consistera entre autres du chef du Parquet européen, qui est le chef du Parquet européen dans son ensemble. Le niveau décentralisé est constitué des procureurs européens délégués affectés dans les États membres, responsables de la conduite des enquêtes et des poursuites pénales « au jour le jour » conformément à la législation de l’État membre[8].
Il est à noter que les procureurs européens délégués peuvent rester en fonctions comme procureurs nationaux (et donc porter les deux casquettes). Lorsqu’ils agissent dans le cadre du mandat du Parquet européen, ils sont toutefois parfaitement indépendants des pouvoirs judiciaires nationaux.
Le niveau central assure le suivi, la direction et la supervision des enquêtes et poursuites menées par les procureurs européens délégués. On vise ainsi à garantir une politique d’enquêtes et de poursuites cohérente au niveau européen.
Un exemple de cet objectif d’une politique cohérente est le principe de subsidiarité de l’article 26.4 du Règlement EPPO lequel prévoit, comme point de départ, qu’un dossier est établi et traité par le procureur européen délégué de l’État-membre dans lequel se situe le centre de gravité des activités illicites.
Lorsque sont commises plusieurs infractions, connexes entre elles, relevant de la compétence du Parquet européen c’est le procureur européen délégué de l’État-membre dans lequel la plupart de ces faits ont été posés qui sera compétent[9].
Lorsque l’EPPO est d’avis qu’il convient d’enquêter sur une infraction pénale, il peut exercer le droit d’évocation prévu à l’article 27. L’EPPO peut ainsi, après consultation de l’autorité compétente de l’État-membre concerné et sous réserve du respect des obligations procédurales, évoquer l’enquête et mener lui-même une enquête transfrontalière cohérente.
Conclusion
En bref, l’EPPO va donc agir dans tous les États-membres participants pour assurer que les efforts européens et nationaux pour l’application des lois soient fusionnés dans une unique approche, transparente et efficace. Le Parquet européen pourra de cette manière réagir rapidement au-delà des frontières nationales (échange accéléré d’information, enquêtes policières coordonnées,…) sans nécessiter de longues procédures de coopération judiciaire. Cette approche permettra également une politique de poursuites commune, mettant ainsi fin à l’approche fragmentée actuelle.
Avant que l’on puisse toutefois considérer cette importante lacune institutionnelle comme étant comblée, reste maintenant à attendre la mise en place définitive de l’EPPO. Il est prévu que cette phase de mise en place prenne environ trois ans, de sorte que le Parquet européen sera en principe opérationnel pour la fin 2020.
La date à laquelle le Parquet européen entrera en fonctions sera déterminée par la Commission sur proposition du chef du Parquet européen, dès que le Parquet européen sera en place. Le règlement stipule que cette date ne devrait pas être antérieure à trois ans après l’entrée en vigueur du Règlement[10].
La Commission prendra également dès l’année prochaine les premières mesures afin d’éventuellement étendre, dans le futur, les compétences de l’EPPO à la lutte contre le terrorisme transfrontalier.
Une affaire à suivre, donc… n’hésitez pas à prendre contact avec nos spécialistes.
Christian CLEMENT
Jens VANHELLEMONT
[1] European Commission, Protection of the European Union’s financial interests — Fight against fraud 2015 Annual Report, Brussels, 14/07/2016,https://ec.europa.eu/anti-fraud/sites/antifraud/files/pifreport_2015_en.pdf
[2] European Public Prosecutor’s Office (En français: Parquet européen).
[3]European Commission, Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on the European Union Agency for Criminal Justice Cooperation Eurojust, document 2013/0256, Brussels, 17/7/2013.
[4] Article 86 TFEU (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne)
[5]Article 22 Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (Règlement EPPO)
[6]Directive (EU) 2017/1371 of the European Parliament and of the Council of 5 July 2017 on the fight against fraud to the Union’s financial interests by means of criminal law.
[7]Article 22 Règlement EPPO juncto article 2, al. 2 en article 3, al. 2, D de la Directive 2017/1371.
[8]En ce qui concerne la structure de l’EPPO: v. Chapitre 3, section I Règlement EPPO.
[9]Répartition et compétences: v. article 26 et s. Règlement EPPO.
[10] Article 120 Règlement EPPO.
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