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21 Nov 2023 | Civil Law & Litigation

Loyers COVID : la Cour de cassation retient la force majeure
  • Dominique Janssen

    Dominique pratique principalement le droit privé et le droit commercial, avec une grande expérience et de nombreuses publications dans le domaine des baux commerciaux et des contrats de brasserie. Elle a d’ailleurs conçu un site de recherche dans ces matières, sous www.lexosphere.com. Dominique est également spécialisée en droit équin, et assiste principalement des éleveurs, marchands et vétérinaires. Elle est médiatrice agréée en matières Civiles et Commerciales.

La Cour de cassation s’est exprimée récemment dans deux arrêts prononcés respectivement les 26 mai 2023 (C.22.0296.N) et 7 septembre 2023 (C.22.0437.N)[1], sur le sort du bail commercial, plus particulièrement celui des loyers, en période de fermeture totale des commerces, suite aux mesures gouvernementales visant à combattre la propagation du Coronavirus.

A la différence de la Cour de cassation française[2], notre Cour de cassation s’est prononcée en faveur de l’application de la théorie de la perte de la chose louée par cas fortuit, dispensant le locataire commercial de payer les loyers pendant les périodes de fermeture totale.

Les faits à l’appui de ces décisions étaient à peu près similaires. Le locataire commercial avait informé son bailleur qu’en raison de la pandémie du Coronavirus, et l’ordre de fermeture du commerce, il ne payerait pas son loyer aussi longtemps que les mesures gouvernementales étaient d’application. Le bailleur n’était pas d’accord et a pris l’initiative d’une procédure en recouvrement des arriérés de loyers et rupture du bail. Il estimait que les loyers étaient dus, n’étant pas responsable de l’ordre de fermeture. Il n’y avait apparemment pas de clause contractuelle dans le bail, mettant les risques d’une force majeure à charge de l’une ou l’autre des parties.

Dans les deux cas, les juridictions d’appel avaient condamné le locataire aux arriérés de loyers, sans faire droit à la résiliation du bail, la gravité du manquement reproché n’étant pas suffisant.

Les deux arrêts de la Cour de cassation examinent la portée de l’article 1722 du Code civil ancien, et font grief à la juridiction d’appel d’avoir méconnu cette disposition.

L’article 1722 du Code civil ancien vise la perte de la chose louée par cas fortuit pendant la durée du bail, et dispose que si en raison d’un tel évènement, la chose est détruite en totalité, le bail est résilié de plein droit. Si la chose n’est détruite que partiellement, le locataire peut demander soit la résiliation du bail, soit la réduction du loyer. En aucun cas le bailleur n’est tenu à dédommagement[3].

J’ai eu l’occasion de commenter l’incidence de cette disposition sur obligations du bail commercial en période de pandémie, dans ma contribution parue le 6 avril 2020 à laquelle je renvoi le lecteur. Bien que l’article 1722 de l’ancien Code civil vise la perte matérielle, doctrine et jurisprudence l’avaient déjà étendu à la perte juridique de la chose louée.

La Cour de cassation clarifie deux points qui divisaient jusque-là les juridictions de fond, tranchant des litiges similaires.

Dans l’arrêt du 26 mai 2023, la Cour de cassation confirme que l’article 1722 s’applique lorsque l’accès du public aux lieux loués n’est plus possible en raison des mesures gouvernementales concernées. Ces mesures gouvernementales constituent un cas de force majeure ou cas fortuit :

‘Cette disposition(l’article 1722 de l’ancien code civil) suppose que le trouble de jouissance de l’immeuble résulte d'une impossibilité définitive ou temporaire pour le bailleur de consentir au locataire la jouissance promise dans le contrat de bail, en raison d'un cas fortuit ou de force majeure. Tel est le cas lorsque l'accessibilité au public de l'espace commercial loué devient totalement ou partiellement impossible en raison des mesures gouvernementales visant à lutter contre la pandémie corona’ (traduction libre)

La Cour de cassation fait ensuite grief aux juges d’appel d’avoir décidé que pour l’application de l’article 1722 de l’ancien Code civil, l’impossibilité de consentir la jouissance des lieux loués devait être définitive. L’article 1722 peut trouver à s’appliquer si l’impossibilité résultant d’un cas fortuit ou d’une force majeure est temporaire :

« La force majeure, empêchant une partie de remplir ses obligations, suspend l'exécution des obligations découlant d'un contrat synallagmatique, lorsque cet empêchement n'est que temporaire et que le contrat peut toujours être exécuté utilement par la suite. Il en découle que si l'impossibilité pour le bailleur de fournir au preneur la jouissance promise dans le contrat de bail en raison d’un cas fortuit ou de force majeure est seulement temporaire et que le contrat peut encore être utilement exécuté après la période concernée, les obligations découlant du contrat de bail sont suspendues et doivent être à nouveau exécutées lorsque cette impossibilité prend fin. »

« Les juges d'appel qui constatent que la demanderesse n'a pas pu exploiter l'espace commercial qu'elle louait en raison des mesures gouvernementales visant à limiter la propagation du coronavirus pendant les périodes de confinement et qui décident que l'article 1722 du Code civil ancien ne s'applique pas car il y avait "seulement une impossibilité temporaire et donc une perte temporaire de jouissance", ne justifient pas légalement leur décision." (traduction libre)

Dans le second arrêt du 7 septembre 2023, la Cour de cassation examine l’article 1722 du Code civil ancien sous l’angle de la responsabilité contractuelle du bailleur.

Les juges d’appel avaient estimé que pour l’application de l’article 1722, le trouble de jouissance devait être imputable au bailleur.

La Cour de cassation rappelle que cette disposition suppose que le trouble de jouissance résulte d’une impossibilité définitive ou temporaire pour le bailleur de consentir au preneur la jouissance des lieux loués, à la suite d’un cas fortuit ou de force majeure. Elle est donc étrangère à la responsabilité contractuelle du bailleur.

Cette jurisprudence de la Cour de cassation devrait mettre un terme à la controverse recensée auprès des juridictions de fond quant à l ‘application de l’article 1722 du Code civil ancien aux ordres de fermeture obligatoire des commerces pendant la pandémie, en vertu des principes de la perte (juridique) de la chose louée. L’obligation de payer le loyer est suspendue.

Toutefois, plusieurs questions restent ouvertes. Les preneurs qui ont payé les loyers pendant cette période, peuvent-ils en demander le remboursement par exemple sur base des principes du paiement de l’indu ?

Qu’en est-il des accords qui ont été conclus entre bailleurs et locataires quant au sort des loyers Covid, comme des remises partielles ou reports de paiement ? Peuvent-ils être remis en question ?

Finalement la Cour de cassation a statué dans le cadre des périodes de fermeture totale des commerces. L’hypothèse d’une poursuite d’activité en raison d’une accessibilité limitée et contrôlée, ou encore de marchandises à emporter sur place ou à faire livrer, n’a pas été examinée.

A suivre donc…

Dominique Janssen, avocat – Miles Legal


Références

[1] Publiés en néerlandais sur le site Juportal. La traduction en français n’était pas encore disponible au jour de cette publication.

[2] Cass. Fr., 16 mars 2023, n° 21-24.414 ; Cass. Fr. 30 juin 2022 , 3 arrêts, n° 21-20.190, n° 21-20.127 et n° 21-19.889, publiés au Bulletin ; Cass. Fr. 23 novembre 2022, 3 arrêts, n° 22-12.753, 21-21.867 et 22-13.773. Publications au Bulletin de l’information, https://www.courdecassation.fr/kiosque/bulletins-des-arrets-des-chambres-civiles-et-de-la-chambre-criminelle.

[3] L’article 1722 du Code civil français est identique à l’article 1722 de l’ancien Code civil.

  • Dominique Janssen

    Dominique pratique principalement le droit privé et le droit commercial, avec une grande expérience et de nombreuses publications dans le domaine des baux commerciaux et des contrats de brasserie. Elle a d’ailleurs conçu un site de recherche dans ces matières, sous www.lexosphere.com. Dominique est également spécialisée en droit équin, et assiste principalement des éleveurs, marchands et vétérinaires. Elle est médiatrice agréée en matières Civiles et Commerciales.

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