La loi-programme du 22 décembre 2023, publiée au Moniteur belge du 29 décembre 2023, vient modifier deux régimes de taxation, celui des CFC (« Controlled Foreign Corporation rules ») et celui applicable aux constructions juridiques.
Nous examinerons ces modifications ci-après.
Règles CFC
Le régime des CFC, en vigueur en Belgique depuis l’exercice d’imposition 2020, permet d’imposer les bénéfices non distribués de certaines filiales étrangères qui bénéficient d’un régime fiscal favorable dans le chef des sociétés-mères belges.
Il trouve son origine dans les directives UE/2016/1664 du 12 juillet 2016 (dite « ATAD 1 ») et UE/2017/952 du 29 mai 2017 (dite « ATAD 2 »).
Ce régime vise à empêcher le déplacement artificiel du bénéfice des entités étrangères qui bénéficient d’un régime fiscal favorable.
Les directives européennes permettent aux Etats membres de choisir entre deux approches, une approche par entité ou une approche transactionnelle.
Selon l’approche par entité, les revenus de la filiale étrangère qualifiée de CFC sont automatiquement imposés dans le chef de la société-mère tandis que, selon l’approche transactionnelle, les revenus de la filiale étrangère qualifiée de CFC ne sont imposables dans le chef de la société-mère que si ces revenus ont été détournés de manière non-authentique.
La Belgique a privilégié une approche transactionnelle de la mise en œuvre des directives européennes.
Pour répondre à la définition de CFC, l’entité étrangère doit répondre à certaines conditions.
Il doit s’agir d’une société étrangère disposant d’une personnalité juridique distincte, dont l’Etat de résidence n’est pas la Belgique ou un établissement étranger qui ne dispose pas d’une personnalité juridique distincte, situé en dehors de la Belgique.
La société étrangère doit, pour répondre à la définition de CFC, être contrôlée par une société résidente belge.
Le nouveau § 3 de l’article 185/2 du CIR définit cette notion de contrôle comme suit : la société belge doit détenir « avec ou sans ses entités associées la majorité des droits de vote se rattachant au total des actions ou parts de cette société étrangère, soit détenir avec ses entités associées une participation à hauteur d’au moins 50 % du capital de cette société étrangère, soit posséder des droits avec ses entités associées, d’au moins 50 % des bénéfices de cette société étrangère ».
La loi n’indique pas clairement si l’insertion des mots « entités associées » implique que la société belge doit détenir une participation directe dans la filiale ou si une participation indirecte de 50 % par l’intermédiaire du groupe est suffisante (par l’intermédiaire d’entités ou de personnes associées sans détenir directement une participation).
Pour constituer une CFC, la société étrangère ou l’établissement stable doivent en outre satisfaire à une condition de taxation, à savoir, ne pas être soumis à un impôt sur le revenu ou être soumis à un impôt sur le revenu qui s’élève à moins de la moitié de l’impôt des sociétés qui serait dû si cette société étrangère ou cet établissement étranger était situé en Belgique.
Même si l’établissement étranger est situé dans un pays avec lequel la Belgique a conclu une convention préventive de la double imposition, il pourrait être qualifié de CFC si la condition de taxation est remplie.
Il convient donc de déterminer le montant de l’impôt des sociétés belge qui serait dû par la CFC selon les règles fiscales belges applicables en ce compris, par exemple, les règles d’amortissement, de crédit d’impôt etc. Il s’agira donc d’un calcul fastidieux à effectuer.
Le nouvel article 185/2 du CIR prévoit que, si les conditions susmentionnées sont remplies, la société belge a l’obligation de divulguer l’existence de la CFE dans sa déclaration à l’impôt des sociétés.
En outre, les revenus non distribués seront imposés dans le chef du contribuable belge comme si la société étrangère ou l’établissement étranger était situé en Belgique. Ces bénéfices comprendront les revenus passifs tels que les intérêts, les redevances, les dividendes, les revenus issus de la location, etc.
Il existe des exceptions à la taxation des bénéfices issus de la société étrangère : lorsqu’il est démontré que la CFC exerce une activité économique substantielle, lorsque les revenus passifs de la CFC représentent moins d’un tiers des revenus totaux, ainsi que pour les établissements de crédit et les autres institutions financières.
Ces règles alourdissent malheureusement considérablement la charge fiscale et les obligations administratives des groupes internationaux disposant d’une présence en Belgique. Elles s’appliquent à partir de l’exercice d’imposition 2024 et pour les exercices financiers se terminant le 31 décembre 2023.
Régime fiscal des constructions juridiques
Depuis 2015, les revenus perçus par l’intermédiaire de constructions juridiques sont taxés par transparence dans le chef du fondateur (ladite « taxe Caïman ») comme s’il avait lui-même directement perçus ces revenus.
Les sociétés étrangères sont désormais qualifiées de constructions juridiques si elles ne sont pas soumises à un impôt sur le revenu ou si elles sont soumises à un impôt sur le revenu inférieur à 15 % (si elles sont situées en dehors de l’Espace Economique Européen) ou à 1 % (si elles sont situées à l’intérieur de l’Espace Economique Européen) du revenu imposable calculé conformément aux règles fiscales belges.
Parmi les diverses modifications, la loi du 22 décembre 2023 complète la définition de fondateur par une présomption réfragable pour les personnes physiques mentionnées dans le registre UBO, d’une société, d’une fiducie, d’un trust, d’une fondation ou une asbl, ou d’une structure similaire à une fiducie ou à un trust, qualifiées de constructions juridiques.
Par ailleurs, jusqu’à présent, un fondateur de constructions juridiques échappait à l’application de la taxe Caïman dans le cas où la chaîne de construction juridique était rompue par une entité qui ne pouvait être qualifiée de construction juridique.
Alors que la disposition légale actuellement applicable limite le champ d’application de la taxe au détenteur des droits juridiques, la nouvelle législation étend le champ d’application à ceux qui détiennent directement ou indirectement via une chaîne de constructions intermédiaires les droits juridiques ou économiques des actions ou parts.
La définition du terme « construction intermédiaire » permet également de viser les chaînes de constructions juridiques dont toutes les entités ne sont pas des constructions juridiques en tant que telles.
Il en résulte que toute société située dans l’Espace Economique Européen faiblement taxée, qui serait détenue indirectement par une personne physique résidente belge, pourrait donner lieu à un régime de taxation par transparence dans le chef du particulier qui pourrait être considéré comme fondateur, même si cette entité, faiblement imposée est détenue indirectement par le biais d’autres structures normalement imposées (belges ou étrangères).
Une personne physique détentrice des actions d’une société holding belge qui ne détiendrait qu’une faible participation pourrait donc se voir taxer comme fondatrice par transparence d’une construction juridique faiblement imposée (en-dessous de 15 % ou 1 % selon qu’elle est située ou non dans l’Espace Economique Européen) qui serait détenue par une autre société du groupe.
En pratique, une mise en œuvre du nouveau texte législatif paraît presque impossible. Comment l’actionnaire minoritaire d’une société belge normalement imposée pourrait-il disposer d’informations sur des sous-filiales d’une société qu’il ne contrôle pas ?
Comme dans le passé, l’imposition par transparence du fondateur ne s’applique pas s’il est démontré que la construction juridique exerce une activité économique substantielle qui n’a pas pour but la gestion du patrimoine privé du fondateur ou d’un des fondateurs de cette construction juridique.
Pour éviter un chevauchement avec les règles en matière de CFC, il est prévu que les constructions juridiques ne sont pas imposées par transparence dans le chef du fondateur si elles sont imposées dans le chef d’une société résidente, en application des dispositions en matière de CFC.
Malgré les critiques qui avaient été émises à l’encontre de cette modification, le texte de l’article 18 du CIR prévoit que les bénéfices non distribués de la construction juridique sont taxés dans le chef du fondateur au moment où les actions, les droits ou les actifs de la construction juridique sont apportés en dehors de la Belgique ou si le fondateur transfère sa résidence ou son siège de fortune à l’étranger. Il s’agit là de l’application de l’exit tax à la française.
Les obligations déclaratives de constructions juridiques sont applicables à partir de l’exercice d’imposition 2024. Les autres dispositions sont applicables aux revenus qui sont recueillis, attribués ou mis en paiement par une construction juridique, à partir du 1er janvier 2024.
En cas d’omission de déclaration de l’existence d’une construction juridique, le délai d’enrôlement de l’impôt supplémentaire est de 10 ans à partir du 1er janvier de l’année qui débute l’exercice d’imposition pour lequel l’impôt est dû.
On l’aura compris, les nouvelles règles, non seulement étendent le champ d’application de la taxe Caïman mais ont surtout pour conséquence qu’apprécier si une situation relève ou non du champ d’application de la taxe Caïman est devenu presque impossible à effectuer sans l’assistance d’experts en la matière.
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