Vous êtes engagé dans des négociations précontractuelles ? Jusqu’où s’étend votre liberté de contracter ou de ne pas contracter et, partant, de rompre les négociations ? Il se pourrait bien, alors même que le contrat définitif n’est pas encore signé, que vous soyez déjà lié par un « accord de principe » qui vous empêche de faire marche arrière…
Qu’est-ce qu’un accord de principe ?
L’accord de principe est un engagement contractuel[1] de faire une offre ou de poursuivre une négociation en cours afin d’aboutir à la conclusion d’un contrat, contrat dont le contenu n’est encore déterminé que de façon partielle et insuffisante pour qu’il soit considéré comme un contrat en bonne et due forme. Les parties en négociations précontractuelles peuvent se retrouver liées contractuellement alors même qu’elles n’ont pas encore fixé les termes du contrat à venir.
Quand les négociations précontractuelles basculent-elles vers un accord de principe ?
Pour déterminer s’il y a ou non « accord de principe », les cours et tribunaux analysent le contexte global des négociations.
Premièrement, les parties ont-elles conclu une lettre d’intention ?
Celle-ci a généralement pour objet principal de confirmer l’intérêt que les parties portent à la réalisation de l’opération envisagée. Elle crée donc un certain cadre contractuel entourant les négociations en cours avec, parfois, des dispositions très détaillées relatives aux termes et conditions de l’opération envisagée. Certains éléments peuvent alors être considérés comme acquis (les parties ne pourront pas y revenir).
Dans cette hypothèse, la lettre d’intention constitue un véritable canevas de la convention.[2] Cet accord sera acquis, même si les parties s’en défendent en prévoyant que la lettre d’intention, qui n’est pas liante, est assortie d’une condition suspensive et/ou est subordonnée à la signature d’un contrat en bonne et due forme.
Deuxièmement, à quel stade des négociations les parties sont-elles arrivées ? Les points essentiels du futur contrat sont-ils concrétisés ?
L’existence d’un accord de principe peut en effet être retenue lorsque (i) les négociations sont à un stade très avance[3] (ii) ou lorsqu’il y a accord sur certains points essentiels[4].
- Plus les négociations ont duré et plus les derniers échanges étaient rapprochés, plus l’accord de principe sera conforté. Cela sera d’autant plus le cas si, pendant une période de temps plus ou moins longue, l’une des parties a laissé croire à l’autre que le contrat serait conclu[5], alors qu’elle n’avait pas ou plus l’intention de conclure la convention.
- Les parties peuvent être considérées comme d’accord sur les points essentiels du contrat (comme par exemple, le prix), lorsque seuls des détails restent à régler (ces derniers n’empêchant pas la finalisation de la transaction).
Ainsi, un simple courriel adressé (i) dans un contexte avancé de négociations (annonçant la rédaction des projets de contrats) dans le cadre desquelles (ii) les éléments essentiels, dont le prix, avaient été arrêtés, peut être considéré comme preuve d’un accord de principe qui ne peut être rompu, sauf à engager la responsabilité de la partie contrevenante.
Un simple acte qui pourrait vous paraître anodin, peut, donc, dans certaines circonstances, faire basculer le curseur de l’étape « négociations » (dont on peut toujours sortir, si on le fait loyalement) vers l’étape « contrat » où on est lié, avant même que le texte final de la convention soit finalisé et a fortiori signé.
Quelles sont les obligations des parties liées par un accord de principe ?
Une partie à un « accord de principe » ne peut pas, par sa seule volonté, remettre en cause les points essentiels du contrat, au risque d’engager sa responsabilité contractuelle.
Ainsi, en cas de vente, les parties ne disposent plus de la faculté de poursuivre une négociation parallèle avec un tiers et de rompre un accord de principe afin de vendre au plus offrant[6], et ce même si les parties n’ont pas négocié sous le couvert d’une clause d’exclusivité. Le contrat devra donc être conclu…
Quelles sont les conséquences du non-respect ou d’une rupture d’un accord de principe ?
Si une partie à un accord de principe contrevient aux obligations qui en découlent ou rompt l’accord de principe, elle se rend coupable d’une faute contractuelle qui, si elle occasionne un dommage à l’autre partie, peut donner lieu à indemnisation du préjudice qui en résulte.
Ce dommage peut se composer, sans être exhaustif : des frais encourus inutilement dans le cadre des négociations, de la perte du bénéfice net escompté si la transaction avait abouti (ou, à tout le moins, de la perte de chance de réaliser ce bénéfice net) et, enfin, mais plus rarement, du profit et des avantages que l’auteur de la rupture a retirés des négociations.
Bien entendu, il convient, pour chacun de ces postes du dommage, d’apporter, pièces à l’appui, la preuve qu’il existe et celle de son ampleur.
Que vous n’ayez pas encore signé de contrat ou que les négociations auxquelles vous participez n’aient pas encore abouti, n’induit pas pour autant que vous ne soyez pas déjà « engagé ». Engagé, à agir loyalement et de bonne foi et surtout, à ne pas faire naître ou entretenir dans le chef de ce partenaire des espoirs que vous savez sans fondement et donc illusoires.
Me Chloé Nols, avocate du barreau de Liège-Huy
Reférences
[1] Cour d’appel Luxembourg, 4e ch., 21 mai 2014, DAOR, 2017/1, n° 121, p.79-85 ; Comm. Bruxelles (13e ch.), 24 juin 1985, J.T. 1986, p.236.
[2] D. LECLERCQ, Les conventions de cession d’actions – Analyse juridique et conseil pratiques de rédaction, sous la direction d’O. CAPRASSE, Larcier, 2e éd., 2017, pp. 38-40.
[3] BERLINGIN, M., Le sort des actes d'exécution précédant l'accord des parties quant aux éléments essentiels et substantiels du contrat, R.G.D.C. 2006, liv. 8, p. 449-455 ; M. BERLINGIN, « La formation dynamique du contrat de vente », in Vente – Commentaires pratiques, Kluwer, 2007, pp. 26-27.
[4] D. PHILIPPE, Formation des contrats – Commentaire. Cour d’appel de Luxembourg (4e ch.), Kluwer, 21 mai 2014, DAOR, 2017/2, n° 122, p. 7 ; J. STICHELBAUT, S. MORTIER, « La période précontractuelle. La rencontre des consentements », in Obligations. Traité théorique et pratique, Wolter Kluwers, 2016, p. 9.
[5] Civ. Dinant (5e ch.), 16 février 1994, JLMB, 1995, p. 407.
[6] J. STICHELBAUT, S. MORTIER, « La période précontractuelle. La rencontre des consentements », in Obligations. Traité théorique et pratique, Wolter Kluwers, 2016, p. 7 ; Liège, 28 février 1997, J.L.M.B. 97/310.
0 commentaires