Le rapport des experts sur « l’avocat demain » soutient une idée qui revient régulièrement et avec un certain entêtement : celle de n’avoir plus qu’un Orde van Vlaamse Advocaten (OVA) et un Ordre des Avocats Francophones et Germanophones (OAFG).
Certes, tous reconnaissent le caractère utile et même indispensable des ordres communautaires. L’unification des règles déontologiques est un acquis qu’on n’imagine plus remettre en cause (on déplore même encore trop d’applications parfois différenciées entre les barreaux). Les projets les plus essentiels pour l’avenir de la profession se décident et se réalisent à ce niveau. Le Président représente la profession.
Est-il, pour cela, opportun de supprimer les ordres locaux ?
Quels arguments sont invoqués pour soutenir leur disparition (en les dénommant section et en prévoyant de n’y laisser qu’un représentant local) ?
Ecartons d’emblée l’argument du sens de l’histoire, qui n’est pas un argument mais un alibi. Le sens de l’histoire est par définition imprévisible.
On invoque la représentativité. De ce point de vue, il est acquis dès à présent, notamment pour les médias, qu’AVOCATS.BE et son président portent la voix des avocats. Il faut d’ailleurs absolument éviter que des voix discordantes soient entendues du public ou des autorités publiques. Mais reconnaissons que c’est fort rarement le cas. Les bâtonniers wallons ont bien compris qu’il était improductif de se faire valoir en portant un discours différent de celui d’AVOCATS.BE, d’ailleurs nourri des leurs décisions collégiales.
Il ne serait sans doute pas inutile d’adopter une règle reconnaissant au seul Ordre communautaire le droit de s’exprimer publiquement quant aux questions touchant à l’intérêt général de la profession.
Si ce n’est la représentativité, ce serait l’efficacité ? Un seul barreau nous donnerait-il plus d’efficacité ?
Le postulat selon lequel plus une entité est grande, plus elle est efficace est simpliste. « Small is beautiful » énonçait déjà en 1973 l’économiste anglais Schumacker en nous parlant de développement raisonné, d’économie humaine et durable et de refus de voir, dans le gigantisme et la centralisation, un objectif en soi : « Quelle est donc l’échelle qui convient ? Tout dépend de ce que l’on cherche à faire. La question d’échelle est aujourd’hui cruciale au plus haut point, dans les affaires politiques, sociales, économiques, aussi bien qu’en tout autre chose, ou presque. »
Que cherche-t-on donc à faire ?
- Gérer au mieux et faire face à nos obligations d’autocontrôle.
De nombreux services sont gérés plus efficacement au niveau local : les rapports avec la magistrature locale, la bibliothèque, la formation, la commission des honoraires, etc. Contrôler l’activité des avocats en interne est également plus aisé et plus productif lorsque le niveau de pouvoir est plus proche et plus responsabilisé.
- Offrir un service de proximité au justiciable.
Les ordres locaux se veulent proches des demandeurs de justice. Ils sont accueillis et conseillés dans des lieux accessibles ; leurs interpellations nourrissent la réflexion pour adapter au mieux les services qui leur sont proposés.
Il serait d’ailleurs tout à fait paradoxal d’éloigner les structures du barreau du justiciable en les centralisant alors que, dans le même temps, nous plaidons auprès du ministre de la justice pour le maintien de la proximité entre les juridictions et les justiciables.
Mobiliser et favoriser l’expression de la diversité des opinions et des expériences. La disparition des Ordres locaux entraînerait la suppression des conseils de l’Ordre. Ceux qui y ont participé peuvent témoigner de la qualité des débats qui y ont lieu sur les sujets importants touchant la profession. Ces débats sont nourris de la diversité des points de vue et des expériences des conseillers. Ils permettent aux bâtonniers de fonder une position nuancée et étayée lors du débat en assemblée générale. Nous ne croyons pas qu’une assemblée unique composée de bâtonniers locaux et de membres élus soit une avancée en termes de participation à la réflexion et de qualité des débats.
Les partisans de la suppression des ordres locaux invoquent enfin le professionnalisme. Le temps ne serait plus au bénévolat, qui ne permettrait pas d’avoir des exigences en termes de qualité du travail et de délais. Pourtant, dans la très grande majorité, les avocats qui s’investissent dans les services de l’Ordre font honneur à leur engagement, et les structures dépendant de l’Ordre fonctionnent généralement bien.
L’efficacité est aussi un rapport entre la qualité du service rendu par rapport à son coût. Le montant des cotisations si on rémunérait les avocats travaillant pour l’Ordre à un tarif de 75€/heure, serait certainement au moins doublé sans avoir aucune certitude que le service offert serait proportionnellement meilleur. Pour certains confrères, ce serait d’ailleurs une charge complémentaire difficile à assumer.
Enfin, et surtout, il nous paraît qu’une telle réforme porterait atteinte à l’esprit du barreau.
Dans un barreau comme le nôtre environ un avocat sur deux s’investit ou s’est investi à un moment donné au service du barreau (B.A.J., C.O., commissions diverses, jeune barreau, etc.).
Cela forge l’esprit du barreau.
Mettez quelques hommes et femmes autour d’un tas de briques pour bâtir, ils deviendront des amis. Mettez-les autour d’un tas d’argent, ils se disputeront.
La confraternité vient de ce que nous participons à une œuvre commune.
Le jour où nous ne serons plus que des consommateurs des services de l’OAFG, nous craignons qu’elle perde un de ses fondements et ne puisse plus résister au besoin éperdu de rentabilité, à la concurrence effrénée et à l’estompement de nos spécificités.
Ce n’est pas un plaidoyer pour l’immobilisme. Nous croyons, par exemple, en la possibilité d’améliorer l’efficacité des structures en les organisant au niveau des arrondissements ou des ressorts.
Mais les ordres doivent rester une œuvre collective dans laquelle les avocats peuvent s’identifier pour concourir au mieux aux objectifs qui leur sont assignés.
Jean-Emmanuel Barthelemy, Bâtonnier du Barreau de Mons
Olivier Haenecour, Ancien bâtonnier du Barreau de Mons
Article de La Tribune du 22 février 2018
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