L’article 1130 ancien du Code civil interdisait les arrangements sur une succession future. Il n’était donc pas possible de conclure des accords sur un héritage avec les futurs héritiers. Cette interdiction a quelque peu été assouplie par la loi du 31 juillet 2017 modifiant le Code civil en ce qui concerne les successions et les libéralités et modifiant diverses autres dispositions en cette matière. Ainsi, depuis l’insertion des articles 1100/1 à 1100/7 nouveaux dans le Code civil, il est désormais autorisé sous certaines conditions strictes de conclure un pacte successoral qui peut revêtir la forme d’un pacte global ou d’un pacte ponctuel.[1]
par Rafaël Alvarez Campa (Avocat associé Everest Law)
Deux années se sont écoulées depuis cette réforme et force est de constater que le recours au pacte successoral demeure relativement marginal par rapport au succès jamais démenti des testaments, la question du décès restant souvent un sujet tabou dans les familles, outre la crainte des parents de devoir dévoiler à leurs enfants des donations qui auraient déjà été faites à l’un plutôt qu’à l’autre.
Pourtant, l’utilité d’un tel instrument est incontestable. Songeons par exemple au cas des parents qui ont financé les études à l’étranger d’un enfant et qui ont réalisé une donation au profit de l’autre enfant. Ne constituant pas une donation en soi, le financement des études n’aura aucune incidence sur la succession des parents alors que la donation consentie à l’autre enfant devrait être prise en compte dans le cadre de cette même succession pour l’évaluation du montant de la réserve des héritiers et un rapport/une réduction éventuel(e) à la succession. Songeons également au cas où l’un des enfants occupe un appartement appartenant aux parents tandis que l’autre enfant a reçu une donation de ces derniers. Ces différences sont très fréquemment la source de litiges entre les héritiers après le décès de leurs parents.
éviter des conflits successoreaux
Le recours au pacte successoral global offre donc la possibilité aux familles d’anticiper et par conséquent d’éviter tous les conflits successoraux qui pourraient naitre entre les enfants au décès de leurs parents. En effet, dans le cadre de l’établissement d’un pacte successoral global, il appartient d’abord aux parents et à leurs enfants de dresser l’inventaire, de consigner et de valoriser les donations et autres avantages, aussi bien ceux consentis antérieurement à sa conclusion que ceux consentis aux termes du pacte lui-même. Ensuite, il leur incombe de rechercher un équilibre par rapport à ces donations et avantages et « à la situation de chacun des héritiers présomptifs ».
Grâce à ce travail de transparence et de rééquilibrage, les donations et avantages consentis sont consolidés car l’accord emporte renonciation de chaque héritier à demander le rapport et la réduction de toutes les donations prises en compte dans le pacte. Sauf pour les mineurs et les majeurs incapables, il ne sera donc plus possible de remettre en cause cet accord après le décès des parents. Notons toutefois que l’équilibre absolu entre les héritiers n’est pas une condition de validité d’un tel pacte dès lors que rien ne s’oppose à ce qu’un certain déséquilibre entre les héritiers puisse malgré tout subsister si l’héritier désavantagé a accepté cette différence de traitement en parfaite connaissance de cause.
droit de donation
Comme toute réforme législative, la mise en place de la figure du pacte successoral ne s’est pas faite pas sans mal sur le plan pratique.
D’emblée, l’une des difficultés était liée aux conséquences fiscales de la mention dans le pacte d’une ancienne donation n’ayant pas fait l’objet d’un assujettissement au droit de donation. Songeons aux donations ayant été réalisées sous la forme manuelle ou indirecte ou aux donations passées devant notaire à l’étranger. La question alors posée était de savoir si la mention d’une telle donation dans le pacte successoral constituait en soi un titre permettant à l’administration fiscale de prélever les droits de donation. La matière étant régionalisée, il appartenait à chaque Région de prendre position sur la question. Du côté de la Région bruxelloise et la Région flamande, il a été décidé que l’exemption du droit de donation serait la règle à condition que les parties confirment dans le pacte que la donation a eu lieu avant la date de conclusion de ce dernier. S’ils optent néanmoins pour l’application du droit de donation, les signataires du pacte se mettent à l’abri de la règle selon laquelle toute donation qui n’a pas été assujettie à cet impôt doit réintégrer la masse successorale du donateur si ce dernier décède dans les trois ans de la donation. Du côté de la Région wallonne, il a été prévu que la mention d’une ancienne donation dans un pacte successoral rend automatiquement le droit de donation exigible sauf si les parties en demandent l’exemption dans le propre pacte.
créance à charge
Une autre difficulté rencontrée lors de la conclusion d’un pacte successoral est celle des conséquences fiscales résultant de l’allotissement d’une créance à charge des héritiers. L’article 1100/7, § 1er permet en effet d’attribuer à un ou plusieurs enfants une créance à charge de ceux expressément désignés par le pacte (« Le pacte peut également allotir un ou plusieurs héritiers présomptifs en ligne directe descendante au moyen d’une créance à charge des parties expressément désignées par le pacte »).
Le sort fiscal d’un tel allotissement de créance varie cependant d’une Région à l’autre.
L’administration fiscale fédérale a rendu une décision le 8 janvier 2019, que la Région bruxelloise et la Région wallonne ont décidé d’appliquer. Elle y traite du cas de l’allotissement d’une créance cumulée avec une donation consentie préalablement au pacte successoral en citant l’exemple d’une mère qui avait fait autrefois une donation de 100.000 € à l’un de ses deux fils et qui conclut un pacte successoral global avec ses deux fils aux termes duquel le fils ayant reçu la donation accepte de verser à son frère la somme de 50.000 €.
Pour l’administration fiscale fédérale, que la donation préalable au donataire originaire ait été ou pas soumise au droit d’enregistrement, ce transfert des 50.000 € d’un fils (le donataire originaire) vers son frère constitue une renonciation à une partie de la valeur de la donation qui lui avait été consentie. Par cette renonciation, le donataire originaire réalise une donation au profit de son frère qui doit être soumise au droit de donation au tarif applicable en fonction du lien de parenté entre les deux signataires concernés, étant en l’espèce le tarif entre frères (7% en Région bruxelloise et 5,5% en Région wallonne).
Du côté de la Région flamande, le Vlabel a adopté une approche quelque peu différente qui a évolué dans le temps.
Dans une position du 18 mars 2019 (position 19.006), le Vlabel avait ainsi précisé que l’allotissement de créance vis-à-vis d’un héritier présomptif constituait une donation indirecte de la part des parents à l’enfant bénéficiaire, avec application des droits de donation en ligne directe (et non pas au tarif applicable entre frères).
Dans l’hypothèse où, comme dans le cas visé par la décision de l’administration fiscale fédérale, l’allotissement d’une créance est cumulée avec une donation enregistrée consentie préalablement au pacte successoral, le Vlabel considérait que l’allotissement d’une créance était en réalité une charge de la donation originaire avec pour conséquence que les droits de donation dus sur cette donation devaient faire l’objet d’un droit à restitution au profit du donataire originaire à concurrence du trop-perçu. Quant à la charge de la donation originaire, elle était soumise au droit de donation conformément à l’article 2.8.3.0.1, §3 VCF.
Cette position du Vlabel a toutefois été modifiée le 14 avril 2020 et le 11 mai 2020. Opérant une volte-face complète, le Vlabel a décidé qu’une allocation de créance au profit d’un héritier dans un pacte successoral global n’a pas d’effet sur le plan fiscal dès lors qu’il s’agit de la mise en place d’un rééquilibrage des droits des héritiers. Il n’est dès lors désormais plus question de donation indirecte[2].
Et si l’allotissement de la créance dans le chef d’un enfant est couplé avec une donation consentie antérieurement au pacte successoral, la charge de payer la créance à l’autre enfant ne constitue pas non plus une nouvelle donation.
différentes positions des régions: insécurité juridique
Les positions sont donc contradictoires d’une Région à l’autre, ce qui est source d’insécurité juridique. De plus, ces positions obligent à une attention particulière dès lors que le sort fiscal de l’allotissement d’une créance varie également selon que parents et enfants aient élu ou non domicile dans la même Région. Tout ceci nous amène à la conclusion que le pacte successoral recèle de chausse-trappes, la régionalisation du droit de donation n’y étant pas étrangère. Toutefois, ces difficultés ne doivent pas occulter l’essentiel : le pacte successoral demeure sans conteste un outil utile pour régler anticipativement les successions et éviter les situations familiales malheureuses qui pourraient naitre après le décès des parents.
Rafaël Alvarez Campa – Avocat associé Everest Law
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Références:
[1] Nous n’aborderons dans le présent article que le pacte successoral global. [2] Dans sa position, le Vlabel traite également du cas de l’allotissement d’une créance qui constitue la compensation d’une donation consentie dans le pacte successoral : il s’agit dans ce cas d’une donation. |
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