“L’avenir est très incertain”, c’est ce que les experts-comptables entendent plus souvent ces temps-ci. Ne revenons pas en longueur sur les années 2020 et 2021 qui resteront en mémoire, dont les résultats furent en berne pour de nombreux entrepreneurs. Ce n’est que grâce à l’aide financière massive des pouvoirs publics et au moratoire sur les faillites que certaines PME survécurent.
D’autres, minoritaires, ont pu saisir des opportunités et se retourner ; mais la structure financière de la majorité s’est affaiblie, elles ont consommé tout ou partie des réserves qu’elles ou leurs actionnaires avaient accumulées auparavant.
La pandémie du Covid-19 étant maîtrisée, les entreprises pensaient pouvoir se reconstruire progressivement, reconstituer leur volume d’affaires et des réserves financières. Bien mal leur en prit car elles font face à d’autres démons.
La reprise de la demande en 2021 causa la raréfaction des matières premières qui fit augmenter les prix et l’inflation par ricochet. La pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs dont l’ horeca et les transports ajouta une couche de difficultés : d’une part l’indisponibilité de collaborateurs privilégiant un meilleur équilibre entre la vie privée et le travail, d’autre part (quand c’était possible) des conditions salariales plus élevées, participant à la spirale de l’inflation.
L’invasion russe en Ukraine ajouta encore un tour de vis par la limitation des énergies disponibles en Europe, augmentant encore les prix tant envers les entreprises qu’envers les particuliers. Les sociétés sont prises en tenaille : d’un côté le moral des consommateurs est en berne et la demande tend à chuter. De l’autre côté, les prix de production croissent. Certains économistes ne voient pas la fin de cette spirale avant 24 mois.
Toutes les sociétés ne subiront pas la contraction de leur marge de la même manière : celles qui pourront répercuter l’augmentation de leurs coûts sur leurs prix de vente sans affecter leur volume d’affaires sont les plus protégées. Une autre fraction pourra la répercuter partiellement ; celles qui en font partie sont moins protégées, en proportion avec le grignotage de leurs marges et l’augmentation de leurs frais fixes. Quant à celles dont les marges frôleront la ligne de flottaison ou resteront en dessous, leur pronostic vital n’est pas au beau fixe.
Pour savoir où l’on va, il faut d’abord fixer où l’on est. En langage d’entreprises, cela veut dire connaître sa rentabilité globale, par type de produits et services, et sa situation de départ : non seulement savoir si l’on a de l’argent sur le compte bancaire ou si l’on a des dettes, combien et à qui, mais encore suivre les créances à récupérer de certains clients. Ces informations passent par une situation comptable mise à jour fréquemment. C’est évident, et pourtant il n’est pas rare qu’un administrateur de société en difficulté soit incapable de nous préciser le total et le détail de ses dettes. Le meilleur conseil à donner aux petites entreprises est “suivez votre compte d’exploitation et votre bilan plus régulièrement qu’une fois par an au moment de signer les comptes : plus vite vous serez conscient du problème, plus vite vous pourrez réagir.”
Lorsque la situation devient si difficile que l’entreprise ne pourrait s’en sortir seule, des solutions existent avant d’envisager la faillite et de laisser tomber.
La première est la médiation d’entreprise. Elle consiste pour une entreprise (personne physique ou morale) à demander la nomination d’un médiateur qu’elle choisit pour être à ses côtés et non à sa place, afin de négocier un plan de paiement avec un ou plusieurs créanciers, commercial ou étatique (le fisc ou l’ONSS…). À Bruxelles, le gouvernement de la Région prend en charge les honoraires des médiateurs d’entreprises, joignant l’utile à l’agréable.
Une autre solution est celle de l’accord préparatoire, aussi appelé pré pack : le Tribunal de l’Entreprise nomme, de manière confidentielle, un mandataire de justice qui a pour mission de conclure un accord amiable ou de préparer un plan de réorganisation judiciaire (PRJ).
La PRJ est d’ailleurs une troisième solution qui peut réduire drastiquement l’endettement d’une entreprise et l’autoriser à payer le solde sur quelques années, pour autant qu’elle démontre qu’elle pourra le faire. La réorganisation peut avoir lieu par l’une de ces trois options : un accord avec tous les créanciers, un accord avec la majorité d’entre eux ayant voté ou le transfert de l’activité à une autre société.
Lorsque l’activité n’est pas pérenne et que le redressement de l’entreprise ne peut être envisagé, la liquidation en douceur est parfois le moindre mal : on réalise les actifs dans les meilleures conditions pour payer un maximum de dettes en espérant qu’il en restera quelque chose pour les actionnaires. À défaut, il faut parfois privilégier la faillite plutôt que s’entêter à perdre encore plus d’argent et d’énergie.
Face à ces alternatives qui ont pour but de préserver les entreprises, leurs dirigeants peuvent compter sur des professionnels de l’insolvabilité (quelques experts-comptables certifiés, reviseurs d’entreprises ou avocats). Avec l’avantage à Bruxelles que la Région prend en charge les honoraires de ces spécialistes. Leurs banquiers, à qui ils ont tendance à cacher les mauvaises nouvelles, peuvent aussi être à leurs côtés. Sans oublier, loin d’une image ancestrale, que les tribunaux de l’entreprise appuient les PME viables pour maintenir leur activité économique.
Charles Markowicz, expert-comptable certifié chez Costmasters Fiduciaire.
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