Pourquoi libérer Dutroux ? par Bruno Dayez, Ed. Samsa, 116 p., 16 €,
« Si nous continuons avec la même obstination à envoyer des hommes et des femmes en prison en refusant de voir ce qu’il en advient et qu’on les y laisse dépérir lentement mais sûrement, nous faisons preuve d’un aveuglement collectif qui engendre une bonne partie des maux dont nous disons pâtir. Qu’espérons-nous tirer comme véritable avantage du maintien en activité de ces lieux occultes où des milliers de personnes en sont réduites à l’état d’objet, complètement dépourvues de la plus petite possibilité d’agir sur leur propre destin ? La récidive que le public semble appréhender par-dessus tout, c’est le système carcéral qui la provoque en bonne partie. La condition pénitentiaire est à ce point aux antipodes de ce qu’est une existence authentiquement humaine qu’elle compromet durablement l’accession au statut d’homme libre qu’elle est théoriquement chargée de favoriser ».
A-t-on déjà vu livre tant critiqué par tant de personnes qui ne l’avaient pas lu ? Tout homme politique qui respectait ses électeurs (!) devait nécessairement parler d’une erreur de jugement, d’un calendrier inapproprié, voire d’une faute de goût. Oui, bien sûr, la libération conditionnelle… Pour tous, oui, mais par pour Dutroux. Est-il permis d’ironiser sur pareil sujet ? Si pas pour Dutroux, quid alors pour Fourniret, pour Abdeslam, pour Merad ? Pour tous ceux qui reviennent d’Irak ou de Syrie ? Pour tous les assassins d’enfant ? Pour tous les … ?
Pourtant, à cette question, Bruno Dayez répond. Et nettement encore. « En développant ce que sont pour moi certains principes de justice élémentaires, j’entends que le cas de Marc Dutroux ne saurait y faire exception. Car ces principes deviendraient sans valeur si l’on pouvait jamais y déroger … ».
Et il poursuit son raisonnement. Nous avons, et c’est un grand acte de civilisation, aboli la peine de mort. Comment justifier dès lors la détention à perpétuité ? N’est-elle pas, purement et simplement, une peine de mort à exécution différée, voire une double peine : la détention perpétuelle suivie de la mort ? Et de plaider pour des peines qui ne pourraient, en aucune façon, dépasser vingt-cinq ans.
Mais, pour cela, il faudrait que la détention ait un sens. Pourquoi punissons-nous nos enfants ? Parce que nous souhaitons qu’ils apprennent de la punition et qu’ils s’améliorent. Qu’ils deviennent des hommes. Pourquoi n’en est-il pas de même pour les délinquants ? Pourquoi les traitons-nous comme des loups ? En semblant oublier que lorsque l’on traite une personne comme un loup, ou un mort-vivant, il ne faut peut-être pas s’étonner que, parfois, elle morde …
Nos prisons sont des mouroirs. Les moyens dont disposent ceux qui les gèrent sont drastiquement insuffisants. Toute resocialisation y est impossible. À sa libération, le détenu est forcément pire qu’il n’était à son incarcération. Rien n’est fait pour permettre sa réinsertion. Et c’est d’autant plus vrai pour ceux que l’on traîne jusqu’à fond de peine, puisqu’ils ne disposent même pas de l’encadrement dont bénéficient ceux qui se voient octroyer une libération conditionnelle.
« Il faut refuser d’admettre la fatalité dont on veut nous convaincre au motif que le budget alloué à la justice ne permet pas de faire mieux. Faire des économies sur le compte des personnes détenues en les réduisant à l’état de zombies est injustifiable. Outre qu’un tel système de justice se révèle totalement inefficace, il est incompatible avec l’idée même de justice ».
Ceux qui parlent autrement sont ou des aveugles, ou des populistes. Ou alors des tenants de la peine de mort, qui n’osent pas le dire tout haut … Et Bruno Dayez est un homme intelligent et courageux, doté, de plus, d’une plume très agréable à lire.
Écrit par Patrick Henry, ancien président d’AVOCATS.BE
Article de La Tribune du 31 mai 2018
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