Dans un article précédent, nous avons abordé la raison d’être des règlements sur les services et les marchés numériques. Nous avons également relevé ce qu’ils introduisent de manière générale. Dans cette contribution, nous examinons les principales implications du règlement relatif à la loi sur les services numériques (DSA).
Nouvelles mesures contre les biens, services ou contenus illicites en ligne
Par « contenu illicite », on entend, par exemple, le partage d’images représentant des abus sexuels commis sur des enfants ; le partage illégal d’images privées, sans consentement ; le harcèlement en ligne ; la vente de produits non conformes ou contrefaits ; la vente de produits ou la fourniture de services en violation du droit en matière de protection des consommateurs ; l’utilisation non autorisée de matériel protégé par le droit d’auteur ; l’offre illégale de services de logement ; ou la vente illégale d’animaux vivants.
Le règlement sur les services numériques impose de nouveaux mécanismes permettant aux utilisateurs de signaler les contenus en ligne illicites et aux plateformes de coopérer avec des « signaleurs de confiance » spécialisés afin d’identifier et de retirer les contenus illicites.
Le statut de signaleur de confiance est accordé aux entités qui remplissent chacune des conditions suivantes :
- disposer d’une expertise et de compétences particulières aux fins de détecter, d’identifier et de notifier des contenus illicites ;
- représenter des intérêts collectifs et être indépendantes de toute plateforme en ligne ;
- exercer leurs activités dans le but de soumettre des notifications de manière diligente, précise et objective.
Il peut s’agir d’organisations gouvernementales ou, par exemple, d’associations professionnelles représentant les intérêts de leurs membres.
Ce système sera intéressant, par exemple, pour les propriétaires de marques luttant contre la contrefaçon ; mais aussi pour un signalement et un retrait rapide et plus facile des produits contrefaits.
En même temps, les plateformes en ligne devront disposer de procédures obligatoires pour retirer les produits illicites.
Point de contact central
Le règlement sur les services numériques prévoit que chaque service intermédiaire — y compris les plateformes en ligne — doit désigner un point de contact central. Par le biais de celui-ci, les utilisateurs doivent pouvoir communiquer directement, rapidement et de manière conviviale.
D’une part, il s’agit d’un point de contact électronique unique qui devrait avoir une fonction opérationnelle. Il peut également être utilisé par des signaleurs de confiance et par des entités professionnelles qui ont un lien particulier avec le fournisseur de services intermédiaires.
Chaque service intermédiaire doit aussi désigner un point de contact unique pour les destinataires des services, permettant d’établir une communication rapide, directe et efficace, en particulier par des moyens aisément accessibles tels que des numéros de téléphone, des adresses de courrier électronique, des formulaires de contact électroniques, des dialogueurs ou des messageries instantanées. Ce contact doit donc également être possible de manière non automatisée.
Les utilisateurs professionnels, les consommateurs et les autres utilisateurs sont considérés comme étant des « destinataires du service ». Il s’agit donc aussi bien des entreprises qui utilisent une plateforme en ligne pour proposer leurs produits que des consommateurs qui souhaitent acheter des produits par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne.
Nouveaux droits pour les destinataires de services
Les destinataires de services bénéficieront de nouveaux droits suite à l’application du règlement sur les services numériques. Ils pourront signaler des contenus illicites, se plaindre auprès d’une plateforme, contester les décisions des plateformes lorsque leurs contenus sont retirés ou restreints et exiger d’en être informés. Ils pourront également parvenir à des règlements à l’amiable, déposer une plainte auprès de leur autorité nationale dans leur propre langue ou demander réparation en cas de violation des règles.
Les organisations représentatives pourront également défendre les droits des destinataires de services en cas de violations à grande échelle de la législation.
Identification des vendeurs sur les places de marché en ligne
Le règlement introduit de nouvelles règles permettant de repérer les vendeurs sur les places de marché en ligne. Ces règles sont également prévues afin de faciliter l’identification des vendeurs de marchandises illicites.
Les places de marché en ligne auront l’obligation d’assurer la traçabilité de leurs vendeurs (selon le principe « know your customer ») ; cela se fera au moyen de contrôles de manière aléatoire par rapport à des bases de données existantes. Ils devront ainsi vérifier si les produits ou services proposés sur leurs sites sont conformes à la loi. Ils devront faire des efforts soutenus pour améliorer la traçabilité des produits grâce à des solutions technologiques avancées.
Cela garantira un environnement en ligne fiable et transparent pour les consommateurs. Et découragera les vendeurs professionnels qui utilisent abusivement les plateformes pour vendre des produits dangereux ou contrefaits.
Plus grande transparence en matière de publicité
Certains types de publicités ciblées seront interdits sur les plateformes en ligne. Il s’agit des publicités sur le profilage des enfants ou sur des catégories particulières de données à caractère personnel, telles que l’origine ethnique, les opinions politiques ou l’orientation sexuelle.
Mesures de transparence pour les plateformes en ligne
Suite au règlement sur les services numériques, les plateformes en ligne devront prendre des mesures de transparence dans divers domaines. Il s’agit par exemple d’une meilleure information sur leurs conditions générales. Est également visée la transparence sur les algorithmes utilisés pour recommander des contenus et des produits aux utilisateurs.
Par exemple, les plateformes en ligne devront mettre en place une interface en ligne de manière à ce que les commerçants puissent remplir facilement leurs obligations d’information envers les consommateurs.
Responsabilités accrues des très grandes plateformes
Les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche en ligne auront l’obligation de prévenir les abus de leurs systèmes. Pour ce faire, ils devront adopter des mesures fondées sur les risques. Ils devront aussi se soumettre à des audits indépendants de leur gestion des risques.
Il s’agit plus particulièrement des risques de désinformation, de manipulation des élections, de cyberviolence à l’égard des femmes ou de contenu préjudiciable pour les mineurs. Ces mesures doivent faire l’objet d’audits indépendants étant donné qu’elles pourraient potentiellement restreindre la liberté d’expression.
Menace grave en matière de santé publique et de sécurité
Un mécanisme de réponse aux crises en cas de menace grave en matière de santé publique et de sécurité, comme une pandémie ou une guerre, devra être mis en place.
« Pièges à utilisateurs »
L’utilisation de « pièges à utilisateurs » sur l’interface des plateformes en ligne est interdite. Ceci afin de prévenir que de tels pièges (les « dark patterns ») manipulent les utilisateurs pour les amener à faire des choix non souhaités.
C’est par exemple le cas lorsque les utilisateurs sont redirigés vers un site web suspect qu’ils ne souhaitaient pas visiter.
Structure de contrôle unique
Et enfin, une structure de contrôle unique sera mise en place.
Un mécanisme de coopération à l’échelle de l’UE sera instauré entre les régulateurs nationaux et la Commission. Les pays de l’UE joueront le rôle principal, soutenus par un nouveau Conseil européen des services numériques. Les États membres devront désigner un coordinateur pour les services numériques, une autorité indépendante chargée de surveiller les services intermédiaires établis sur le territoire national et/ou d’assurer la coordination avec les autorités sectorielles spécialisées.
Dans le cas des très grandes plateformes en ligne et des très grands moteurs de recherche en ligne, la Commission disposera de pouvoirs directs de surveillance et de coercition. Elle pourra imposer des amendes allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial d’un fournisseur de services dans les cas les plus graves. Elle pourra même demander à un tribunal une suspension temporaire des services de plateformes malhonnêtes qui refusent de s’acquitter d’obligations importantes et mettent ainsi en danger la vie et la sécurité des personnes.
Sara Ataei, Jens Van Lathem et Roeland Moeyersons, Seeds of Law
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