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Relier les mondes : le juriste d’entreprise et le monde (extérieur)

Par IJE-IBJ

Le jeudi 14 novembre s’est tenue la 35ème Journée des juristes d’entreprise (organisé par l’IJE). Le thème de cette édition était « Bridging worlds ». Alors que l’année précédente, les juristes d’entreprise avaient réfléchi à leurs rôles au sein de l’entreprise, cette année, l’accent a été mis sur le juriste dentreprise et sa relation avec les parties prenantes externes : des différentes autorités, en passant par les avocats et les réviseurs, à la presse et au grand public. Des experts issus de divers horizons ont animé des présentations inspirantes et participé à des panels enrichissants. Retour sur une journée placée sous le signe de la collaboration et la communication.

Construire des ponts dans la diplomatie

Dans son discours d’ouverture, Eugène Crijns (Chef de Cabinet adjoint et Conseiller Diplomatique de Sa Majesté le Roi) – également juriste – appelle à construire des ponts. Selon lui, les juristes (d’entreprise) doivent sortir de leur insularité et bâtir des passerelles entre le monde de l’entreprise, les autorités publiques et le secteur non-marchand. En effet, c’est dans cette collaboration intersectorielle (cross-sector collaboration) que réside une véritable valeur ajoutée. Heureusement, ces trois secteurs conjuguent de plus en plus leurs efforts autour de projets communs qui non seulement améliorent leurs résultats, mais servent aussi l’intérêt général. Eugène Crijns constate dans son travail diplomatique – et des études internationales de Stanford ou de l’OCDE le confirment – que cette approche fonctionne. Pour ceux qui voudraient s’y mettre mais ne savent pas par où commencer, il donne un conseil simple : « commencez petit ».

Interaction avec les autorités : la transparence inspire confiance

Le premier panel s’est concentré sur la coopération avec les autorités et les régulateurs qui étaient représentés par Marielle Fassin, auditeur à l’Autorité belge de la Concurrence (ABC), Annemie Rombouts, Vice-présidente de l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA) et Nathalie Ragheno, juriste d’entreprise à la FEB et membre du Service d’Autorisation et d’Avis de l’Autorité de protection des données (APD).

Concernant la collaboration avec l’Autorité belge de la Concurrence Marielle Fassin souligne que l’ABC laisse beaucoup de place aux contacts informels et est prête à fournir des conseils et à répondre aux questions émanant des entreprises. Mais que faire si l’Autorité de la Concurrence effectue une perquisition dans le cadre d’une enquête ? Là encore, la coopération reste la meilleure option : plus l’entreprise collabore efficacement, moins la perquisition durera longtemps. Le juriste d’entreprise joue ici un rôle clé en tant qu’interlocuteur privilégié de l’ABC et en tant qu’ « interprète » entre l’entreprise et l’auditeur.

Pour Annemie Rombouts, la FSMA est avant tout une alliée des entreprises dans les dossiers de surveillance. La transparence mutuelle est essentielle pour une bonne collaboration. Les entreprises peuvent poser toutes leurs questions à la FSMA, et inversement, la transparence de la part de l’entreprise inspire confiance : alors veillez à fournir des dossiers aussi clairs et complets que possible. En plus de son rôle de surveillance, la FSMA a aussi pour mission de sanctionner. Mais même dans ces cas, elle mise sur la collaboration. Surtout si votre entreprise veut entrer en considération pour un règlement transactionnel, votre collaboration est requise. Ici encore, le juriste d’entreprise agit comme intermédiaire, tant pour les dossiers de surveillance qu’en cas de sanctions. La FSMA, comme l’Autorité de la Concurrence et l’APD d’ailleurs, respecte strictement la confidentialité des avis donnés par les juristes d’entreprise.

Nathalie Ragheno explique que l’APD, opérationnelle depuis 2019, est composée de cinq directions et d’un comité de direction : le Secrétariat Général, le Service d’Autorisation et d’Avis, le Service de Première Ligne, le Service d’Inspection et la Chambre Contentieuse. Les entreprises interagissent principalement avec ces trois derniers services. Le délégué à la protection des données (Data Protection Officer ou DPO) est l’interlocuteur principal de l’APD. Ce rôle peut être rempli par le juriste d’entreprise, qui devra cependant veiller à bien séparer les deux casquettes. Il est souvent particulièrement bien placé pour être la personne de contact puisqu’il connaît les tenants et aboutissants de l’entreprise. Toutefois, la fonction de DPO n’est pas compatible avec celle de compliance officer dans le secteur financier.

Le juriste d’entreprise et l’avocat : une question de communication

Lors du deuxième panel, deux juristes d’entreprise et deux avocats ont échangé autour de la question suivante « Quel sont les points positifs de cette collaboration et quels sont les points d’attention ? ». Ce panel était composé de Marie Dupont (bâtonnière de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles), Frank Judo (bâtonnier de l’Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles), Carla Van Steenbergen (Chief Legal Officer, Materialise) et Nicolas Istas (Vice-Président de l’IJE, juriste d’entreprise chez Novartis).

Selon Frank Judo, la relation entre un avocat et un juriste d’entreprise peut être ponctuelle ou, idéalement, durable. Mais quelle que soit sa nature, pour pouvoir parler d’une relation fructueuse, celle-ci doit reposer sur une communication efficace. Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire de perdre du temps à expliquer les bases du droit : les deux sont juristes. La bâtonnière Marie Dupont souligne elle aussi l’importance d’une communication transparente. Les deux parties doivent savoir en quoi s’en tenir en exprimant clairement les attentes dès le départ : quel type d’avis est souhaité (un avis détaillé ou une liste concise) ? Et qu’en est-il des honoraires (forfaits, tarifs etc.) ?

Carla Van Steenbergen adhère à la vision des avocats du panel. Dans quels cas les collaborations échouent-elles ? Lorsque les attentes en matière de calendrier et de budget ne sont pas alignées. Elle souligne également la complémentarité des deux fonctions. Pour elle, ce sont là des raison de recourir à un juriste externe : obtenir une validation externe de l’analyse déjà effectuée par l’équipe juridique interne et obtenir des conseils sur mesure sur des questions juridiques que l’on ne traite pas tous les jours. Nicolas Istas lui aussi considère l’avocat comme un véritable partenaire stratégique. Et un partenariat, cela nécessite une compréhension mutuelle. « Ensemble, on va loin ».

Le regard du réviseur

Le travail du réviseur consiste à créer la confiance dans les informations financières et non financières de l’entreprise. Une confiance envers l’entreprise et envers toutes les parties prenantes possibles. Le réviseur travaille donc dans l’intérêt public, souligne Alexia Cauwe (juriste d’entreprise à l’Institut des Réviseurs d’Entreprises (IRE)).

Mais comment un tel réviseur d’entreprise pense-t-il ? Il est critique et curieux, dit Ben Vandeweyer (Audit Partner chez Deloitte Belgium). Le réviseur doit donner son opinion sur l’image fidèle. Il le fait sur la base des données collectées. Le réviseur ne porte donc pas de jugement de valeur sur les choix stratégiques de l’entreprise. A cet égard, il fait preuve d’un scepticisme sain.

Romanie Peters (juriste d’entreprise Credendo ECA) voit à la fois des opportunités et des défis dans la collaboration entre le réviseur et le juriste d’entreprise. Une opportunité est évidente : un audit peut jeter une lumière nouvelle sur votre propre business, sur vos propres processus. Sur cette base, il devient possible de les optimiser. Cela nécessite cependant une certaine ouverture : fournissez toutes les informations dont le réviseur a besoin pour réaliser un audit efficace. Assurez-vous d’être bien préparé. Cela permettra aux deux parties d’économiser beaucoup de temps et évitera des frustrations. Et cela révélera immédiatement un défi – ou un point d’amélioration si l’on peut dire : le réviseur et le juriste d’entreprise ne parlent pas toujours le même langage. Là encore, une communication claire est essentielle.

Une autre préoccupation que les juristes d’entreprise soulèvent parfois – à juste titre – est la confidentialité. Alexia Cauwe rappelle que le réviseur lui-même est tenu au secret professionnel. Cependant, il doit parfois consulter des documents confidentiels pour pouvoir réaliser un audit de qualité. Il s’agit d’un équilibre délicat à trouver entre confidentialité et transparence. Ben Vandeweyer confirme que toutes les informations dont dispose le réviseur d’entreprise sont accessibles de manière restreinte. Seules les personnes travaillant sur un dossier spécifique y ont accès.

Communiquer avec le monde extérieur

Fons Van Dyck (expert en médias et en communication, professeur invité à la Vrije Universiteit Brussel) explique comment communiquer dans un monde en mutation. Deux tendances se dégagent clairement : (i) nous semblons vivre dans une crise permanente ou permacrise en raison des crises successives de ces dernières années (crise économique, Covid, conflits en Ukraine et à Gaza), (ii) notre société est une société déchirée (le fossé entre « Main Street » et « Wall Street » se creuse). Cela se traduit par un pessimisme face au progrès, la montée des idées extrêmes, des leaders autoritaires… Comment une entreprise peut-elle communiquer dans un tel monde ? Eh bien, il existe trois règles de base : ne pas faire l’autruche, toujours rester authentique et être transparente.

Mais quel est le rôle du juriste d’entreprise dans cette communication ? Aminata Kaké (juriste d’entreprise Syensqo, Corporate Secretary & Deputy General Counsel) souligne qu’en tout état de cause, le juriste d’entreprise n’est pas le seul à avoir un rôle à jouer. Même s’il est en effet important qu’il puisse signaler les pièges juridiques. Par exemple, le juriste d’entreprise peut faire partie d’un comité de lecture qui examine exactement ce qui peut et ce qui ne peut pas être dit dans un communiqué de presse. Il convient également de bien réfléchir à l’avance aux personnes qui s’expriment, c’est-à-dire se établir des accords clairs et déterminer qui communique sur quoi. Enfin, maintenez un baromètre qui mesure la perception de vos parties prenantes.

Conclusion

Les différents experts ont chacun et chacune apporté des éclairages fascinants selon leur propre perspective. Cependant, une idée ressort comme fil conducteur de tous les panels et de toutes les présentations : l’importance de la communication. Une communication claire pour que toutes les parties sachent ce qu’elles peuvent attendre les unes des autres, et une transparence mutuelle, qui inspire confiance. Ces éléments constituent la base d’une relation solide et durable. Le proverbe « si tu veux aller vite, marche seul mais si tu veux aller loin, marchons ensemble » résume parfaitement cette journée.

Wim Putzeys, rédacteur en chef de Jubel

Regardez une vidéo de la Journée ici.

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