Ce n’est un secret pour personne qui s'intéresse au sujet : les relations entre le ministre des finances et les “professionnels des chiffres” – lisez les experts-comptables et fiscaux – ne sont pas au beau fixe. En cause: un sentiment assez répandu parmi ces derniers que l’administration fiscale, guidée par les intentions de son ministre de tutelle, les considère comme des moutons. Ceci n’est pas neuf, les professionnels perçoivent une ambiance progressivement montante à leur faire prémâcher le travail de l’administration. Ils deviendraient parfois les auxiliaires en charge de préparer le travail, en n’appliquant que la vue et la perception du fisc. Par ailleurs, les possibilités de se renseigner auprès de l’administration ou de dialoguer avec ses collaborateurs se réduisent aussi continuellement.
“Les pros du chiffre se rebiffent” est un groupe d’experts-comptables, indépendants, salariés ou collaborateurs qui discutent de sujets professionnels sur Facebook. Ils y sont près de 2 000 membres sur 20 000 que la profession compte environ en Belgique. Lors d’un sondage informel récent, des membres ont exprimé les difficultés qu’ils rencontrent. Les unes les concernent directement, d’autres toute la population : à commencer par le si grand nombre de cases d’une déclaration fiscale : plus de 1 000. La première demande d’intérêt général de ces membres est de réduire ce nombre à 100 ou 150. Mais pour cela, il faudrait une réforme fondamentale de notre fiscalité qui serait motivée par une vue à long terme de la société. Ce n’est pas pour demain.
C’est peut-être scier la branche sur laquelle ils sont assis, mais certains souhaitent plus d’automatisation à laquelle ils ne sont pas opposés, même si elle réduit leur travail. Par exemple, certaines données fiscales ne sont pas encore directement communiquées à la base de données de l’administration, comme celles relatives à la PLCI, contrairement à celles des cotisations sociales, pourtant fort similaires. L’harmonisation ferait gagner du temps et réduirait les risques d’oublis ou d’erreurs.
Les longs délais pour obtenir des réponses de l’administration sont aussi très pénibles pour les contribuables et leurs mandataires. Il nous revient que 1 000 dossiers conflictuels en matière de droits d’auteur seraient en attente de traitement par le service des conciliateurs fiscaux. Le flou entourant la dernière réforme de ce régime fiscal et l’attente de voir ce que les tribunaux en décideront n’y sont peut-être pas étrangers. Toujours est-il que l’administration fiscale, pourtant publique – donc au service général du public – et les contribuables ne jouent pas à armes égales. Un autre cas rapporté est l’incapacité, faute d’avoir un interlocuteur de référence, à savoir pourquoi l’administration de la TVA refuse de tenir compte d’un important abattement obtenu par une société lors d’une réorganisation judiciaire : elle se contente d’encore et toujours de réclamer la somme intégrale.
Une autre amélioration sollicitée est relationnelle avec l’administration fiscale : une partie des professionnels ont l’impression que depuis quelques années, elle leur met des bâtons dans les roues lorsqu’ils doivent être en contact avec ses fonctionnaires : ça va de réorganisation en réorganisation, des départements sont de plus en plus grands, les fonctionnaires en charge ne sont plus toujours identifiés. Avez-vous déjà téléphoné au call center, le fameux 0257.257.57 ? Que vous soyez contribuable ou professionnel, les attentes sont parfois très longues, en pure perte de temps. Soyez zen, soyez patients. Une solution pratique serait de dédier des lignes spécifiques pour les experts-comptables et fiscalistes et les avocats dans ces matières. Serait-ce si compliqué ?
Une autre exagération est illustrée par ce cas : un expert-comptable avait demandé un délai complémentaire pour répondre à l’administration, au motif qu’en période fiscale, de pleine charge de travail, il avait reçu les réponses de son client la veille de l’échéance et qu’il devait encore les vérifier et les mettre en forme. Plutôt que d’accorder quelques jours qui sont légalement prévus et n’auraient rien changé, le contrôleur refusa net le moindre délai. C’est irrespectueux et déconnecté de la réalité.
Le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (Open VLD), déclara récemment ne pas vouloir de relations humaines personnelles qui, selon lui, nuiraient au travail des fonctionnaires. C’est une idée absurde, allant à l’encontre des tendances de privilégier les contacts avec ses clients. Or les contribuables et les experts-comptables sont les clients de cette administration. Ou alors…
Ou alors, si l’on estime que les relations humaines sont inutiles et nuisibles, il n’y a plus qu’à digitaliser encore plus vite l’administration fiscale. Automatiser tout ce qui peut l’être, la déshumaniser : après avoir éliminé toute ambiguïté de notre droit fiscal, supprimer les contacts avec les professionnels, le fisc aura toujours raison, même lorsqu’il aura tort. Par la suite rapide, la plupart des emplois disparaîtront tant à l’administration fiscale que dans les fiduciaires, l’une et les autres auront perdu leur raison d’être. Monsieur le Ministre des Finances, la Société y aura-t-elle gagné en humanité ? Simplifiez la vie des professionnels et, dans l’intérêt des contribuables, favorisez l’application de cette définition d’une bonne procédure : automatiser ce qui est habituel, humanisez l’exceptionnel.
Charles Markowicz, expert-comptable certifié, médiateur agréé Costmasters
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