Every managerial decision is risky, at least to some extent. Conducting business is impossible without venturing into new territories and even the most daily choices could end in failure. (Stanislaw Tosza[1])
Le droit pénal concerne aujourd’hui plus que jamais toute entreprise et ses dirigeants. Ainsi se pose immédiatement la question « L’entreprise et ses dirigeants sont-ils en mesure de maîtriser ce risque pénal lors de l’exécution de leurs activités, et si oui, comment? »
Avant de nous lancer, dans les articles à venir, plus concrètement dans certains sous-aspects de ce risque pénal, il me semble utile de poser le contexte en vous invitant à une première promenade à travers le droit pénal comme risque d’entreprise.
Le droit pénal est étonnement omniprésent dans le monde des affaires
L’actualité nous démontre constamment les dangers que courent les dirigeants d’entreprise quand ils ou des membres de leur organisation ne respectent pas les dispositions d’une règlementation.
Cette omniprésence du droit pénal dans la vie de l’entreprise s’explique par de nombreuses raisons : la complexité de l’entreprise et de ses activités parfois très différentes, la complexité et souvent la très mauvaise qualité de la règlementation, la surpénalisation, la simple négligence qui parfois suffit pour être tenu coupable dans le sens de la loi pénale, une politique de poursuite sévère, la technologie moderne qui rend possible la fraude à distance et offre plus d’anonymat aux auteurs, l’application transfrontalière de la loi pénale dans le contexte globalisé des affaires, etc.
Cependant la poursuite pénale effective surprend encore toujours de nombreux dirigeants d’entreprise. Et ceci surtout quand la responsabilité pénale résulte d’infractions commises par un dirigeant sans que ce dernier en soit bien conscient, et certainement s’il n’a pas eu l’intention de les commettre. La responsabilité pénale est également en jeu lorsqu’une personne est tenue d’assumer les conséquences pénales d’actes ou de négligences qui ont été matériellement commis par des collaborateurs.
Deux angles importants : la fraude et la négligence
La responsabilité pénale est susceptible d’être mise en cause sous deux angles : la fraude (agissement frauduleux) d’une part et la négligence (défaut de prévoyance et de précaution) d’autre part.
Surtout en ce qui concerne ce dernier point, les directions d’entreprise se rendent souvent insuffisamment compte du fait que la simple négligence suffit comme forme de faute pour être tenu pénalement responsable, par exemple lors de graves accidents de travail, d’infraction à des obligations administratives diverses, d’incidents environnementaux, etc.
Des conséquences graves et parfois désastreuses, tant pour l’organisation que pour l’entrepreneur ou le dirigeant
L’application effective du droit pénal peut mener à des conséquences graves pour l’entreprise et ses dirigeants. Pensons ici déjà simplement à des mesures conservatoires telles que la détention préventive, la saisie sur actifs de société, l’interdiction d’effectuer des transactions patrimoniales, la fermeture provisoire ou temporaire d’une usine etc. Ainsi que des sanctions définitives telles que la peine de prison, les amendes, la confiscation, la fermeture, l’interdiction d’activité, etc. A cela se rajoutent les frais de gestion de crise, l’assistance juridique, la discontinuité temporaire et le coût non-chiffrable de l’atteinte à l’image de marque ou même finalement la discontinuité définitive de l’entreprise. Ce qui explique immédiatement que les actionnaires et les autres parties prenantes partagent le risque et en subissent les conséquences.
La gestion du risque comme partie intégrante d’une bonne gouvernance
La gestion du risque pénal est dès lors sans aucun doute une nécessité, l’impact étant dans la plupart des cas (trop) considérable et ce indépendamment de sa fréquence. La maîtrise du risque pénal est globalement un aspect qui fait partie d’une bonne gouvernance d’entreprise. Car elle illustre la manière dont les dirigeants prennent leur responsabilité par rapport à l’organisation et ses parties prenantes externes. Certains parlent dès lors d’une bonne citoyenneté d’entreprise (good corporate citizenship).
Les dirigeants sont des “autorités de surveillance” chargés de tâches de direction, de surveillance et de contrôle, dont la bonne exécution doit contribuer à un haut niveau de conformité et dès lors à une bonne gouvernance. Il s’agit dès lors d’acteurs qui sont investis non seulement sur base de la loi, mais également sur base d’une bonne gouvernance sociétale d’une tâche de direction et de surveillance au sein d’un domaine précis de compétence ou d’autorité. Souvent ils se verront obligés de faire appel à des autorités de surveillance externes; soit parce que la loi les y oblige, soit parce que les principes de bonne gouvernance les mènent à faire appel à une expertise externe.
Il n’est dès lors pas étonnant que de nombreux aspects de bonne gouvernance trouvent leurs points d’ancrage dans le code pénal, car les conséquences dans ce domaine sont significatifs. Ce sont les dirigeants qui se chargent des grandes lignes politiques de l’organisation. Cette responsabilité rend nécessaire que l’organisation de l’entreprise soit correcte et qu’une surveillance et un contrôle adéquats aient lieu.
Le rôle proéminent de la compliance
Plus spécifiquement, le risque pénal est très intimement lié à la compliance (conformité aux normes). Ce constat n’étonnera personne étant donné que le droit pénal vise le respect de pratiquement toutes les normes qui régissent la vie d’entreprise.
La gestion du risque pénal fait dès lors partie intégrante du compliance risk management qui vise à son tour la maîtrise du risque de dommage à la gestion, la réputation et la santé financière de l’entreprise suite au manque de conformité aux dispositions internes et externes, ainsi que la non-adéquation aux attentes des principales parties prenantes ou stakeholders(les autorités, les fournisseurs, les clients, les riverains,….).
De manière externe la compliance risk management est géré par ces parties prenantes ou stakeholders, de manière interne par la nécessité d’une fonction « compliance » structurée et par la diminution des risques de responsabilité pour les dirigeants de l’organisation.
Le risque pénal comme ‘opportunité’ pour l’entreprise
Tôt ou tard des organisations et des dirigeants mal organisés s(er)ont confrontés à des problèmes d’ordre pénal. Inversement, une prise en main adéquate des risques pénaux engendre des opportunités pour l’entreprise, e.g. focus sur les objectifs d’entreprise et le core businesspar rapport à une gestion de crise coûteuse et chronophage, la construction d’un climat de confiance sur le marché avec un impact positif sur la valeur de l’entreprise et une position de marché plus intéressante, des processus d’entreprise solides et transparents, un environnement de travail plus sûr et sain, des produits de meilleure qualité, une gestion de crise plus efficace et efficiente quand le risque se présente etc… En résumé, pour paraphraser Johan Cruyff: « Chaque désavantage a son avantage (Elk nadeel heb zijn voordeel) ».
Maîtriser le risque pénal d’entreprise est donc principalement un problème de management. Une culture managériale faible est souvent un terrain fertile pour la fraude ou pour des incidents graves. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que les sanctions prévues dans différentes lois , sont adressées à ces dirigeants ou ‘autorités de surveillance’ au sein de la personne morale. Le juge porte son regard sur la personne qui était investie de l’obligation factuelle d’assurer le conformité. L’organisation de l’entreprise servira de guide pour le juge, ainsi que la manière dont l’entreprise se comporte en pratique en matière de respect de la règlementation en vigueur.
Dans nos contributions suivantes, nous nous pencherons sur certains aspects spécifiques du risque pénal.
Patrick Waeterinckx
Avocat barreau Anvers et Gand, Maître de conférence VUB et registered fraud auditor.
Waeterinckx Avocats Droit Pénal des Affaires
[1] S. Tosza, Criminal Liability of Managers in Europe. Punishing Excessive Risk, Oxford, Hart Publishing, 2019, 1.
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